Juifs et sorcières, une association qui peut laisser quelque peu dubitatif à première vue. Et pourtant, tous deux se sont vu attribuer des caractéristiques physiques et moraux similaires. Les femmes se faisant un peu trop remarquer au goût des hommes, tout comme les Juifs, se sont vu accuser de tous les maux, les fantasmes populaires les rendant responsables des pires ignominies. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare qu’un amalgame soit fait entre le sabbat des sorcières et le jour du shabbat chez les Juifs.
La figure du Juif a commencé à être façonnée lors de la première Croisade, à la fin du XIe siècle. C’est à peu près au même moment qu’est né l’imaginaire du sabbat, la représentation de sorcières sur leur balai et les allégations d'hosties profanées et de meurtres d’enfants, des allégations qui seraient attribuées aux Juifs également. A partir de cette période, la sorcière comme le Juif seront tous deux associés à Satan.
Selon Guy BECHTEL, dans “La Sorcière et l'Occident. La destruction de la sorcellerie en Europe des origines aux grands bûchers” (1997), les premiers massacres de sorcières, datant également du XIe siècle, coïncident d’ailleurs avec “la répression des hérésies (manichéens, vaudois, juifs...), la criminalisation des conduites atypiques (homosexuels, errants), la condamnation des malades (lépreux, pestiférés) et les règlements de compte politiques (cathares, templiers)”.
C’est également à cette époque que l’on assiste à l’élaboration de la figure de la Synagoga, personnification féminine des Juifs et représentée par une femme insoumise, hautaine, méprisante et moqueuse. La Synagoga peut être représentée les yeux bandés. Sur la façade de la cathédrale Notre-Dame de Paris, c’est même un serpent qui s’enroule autour de son visage et lui obstrue la vue. Peu à peu, cette représentation est assimilée au diable. Selon les chrétiens, en refusant la Loi du Nouveau Testament, les Juifs, personnifiés par la Synagoga, ont vendu leur âme au diable.
Le terme Synagogue est également employé dans les textes pour désigner la secte des sorciers, se référant à la théorie du complot des Juifs contre les chrétiens, une théorie datant du XIVe siècle.
La propension des hommes à inventer des théories complotistes ne date pas d’hier. Au XVe siècle, les hérétiques sont considérés comme un groupe dissident unique et organisé. Dans le contexte d’un antijudaïsme en plein essor, la sorcellerie apparaît comme une nouvelle forme d’hérésie, au même titre que la religion juive.
Au début du XVe siècle, un portrait-robot de la sorcière est réalisé et regroupe les stéréotypes misogynes habituels de la femme âgée, édentée, bossue et acariâtre, ainsi que les stéréotypes attribués aux Juifs : nez crochu, adeptes de meurtres rituels, etc.
La figure du Juif partage, dès lors, de nombreux attributs avec celle de la sorcière. En plus de la profanation d’hosties et du meurtre d’enfants, tous deux sont considérés comme de vils pécheurs : usuriers, criminels, empoisonneurs, disséminateurs de maladies comme la peste. Ils sont représentés comme des bêtes (animaux nocturnes, scorpions, animaux aveugles, etc.) ou même comme des créatures démoniaques affublées de griffes, de cornes et de seins, attributs féminins par excellence. La haine de l’hérétique, la haine du juif rejoint celle de la femme. En 1979 déjà, l’historien Daniel Iancu-Agou écrivait, dans « Le diable et le juif : représentations médiévales iconographiques et écrites », que cette « collusion dans l’imaginaire médiéval du Juif et de la femme-sorcière » était révélatrice d’un « courant antiféministe ».
Antijudaïsme et misogynie s’assimilent donc dans ce contexte de lutte contre les hérétiques, ce qui explique le parallèle entre les stéréotypes liés à l’imaginaire de la sorcellerie et ceux relatifs à la figure du Juif.
Pour en savoir plus sur le sujet :
Bechtel Guy, La Sorcière et l'Occident. La destruction de la sorcellerie en Europe des origines aux grands bûchers, Paris, Plon, 1997.
Blumenkranz Bernhard, Le Juif médiéval au miroir de l’art chrétien, Paris, Études Augustiniennes, 1966, pp.11-39.
Iancu-Agu Daniel, « Le diable et le juif : représentations médiévales iconographiques et écrites », dans Sénéfiances 6, Le diable au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 1979, pp. 259-276.
Raphaël Freddy, « Juifs et sorcières dans l’Alsace médiévale », Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, n°3, 1974, pp. 69-106.
Owens Yvonne, “The Saturnine History of Jews and Witches”, in : Critical and Historical Studies on the Preternatural, Vol. 3, No. 1, Special Issue: Capturing Witches, 2014, pp. 56-84.
Article paru précédemment dans la Centrale n°368 (juin 2023).
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