Pendant la Seconde Guerre mondiale, Irena Sendler, jeune assistante sociale catholique, sauva plus de 2.500 enfants juifs en les sortant du ghetto de Varsovie. Son histoire, longtemps restée méconnue, a été redécouverte depuis quelques années. En 2003, elle a même été proposée par le gouvernement polonais pour recevoir le Prix Nobel de la Paix.

Irena Krzysanowski naît le 15 février 1910 à Otwock, près de Varsovie. Son père, médecin engagé dans l’action sociale, lui apprend très jeune à respecter tout le monde. Il lui disait : « Les hommes se partagent entre les bons et les mauvais. Leur nationalité, leur race, leur religion n’ont pas d’importance. Seul compte la valeur de l’homme. » Après ses études en littérature polonaise à l’Université de Varsovie, elle travaille comme assistante sociale. En 1931, elle épouse Mieczyslaw Sendler et devient Irena Sendlerowa, nom sous lequel elle sera connue.
Dès l’automne 1939, quand l’occupant allemand ordonne de licencier les Juifs et interdit aux organisations sociales d’apporter une aide aux Juifs pauvres, elle organise une cellule d’aide clandestine via les centres d’Aide sociale de la ville. Elle fait alors partie d’un groupe qui fournit de faux papiers aux enfants échappés du ghetto, cela afin de pouvoir les placer dans des orphelinats ou des familles d’accueil. Grâce à ses contacts, elle parvient également à placer des familles juives sur les listes des services sociaux en leur fournissant de fausses identités chrétiennes. Jusqu’à son arrestation, elle cumulera ainsi deux activités professionnelles : une, officielle, dans les services municipaux, et une, clandestine, dans les organisations d’aide aux Juifs.
Après la fermeture du ghetto, le 16 novembre 1940, elle obtient du département de contrôle des épidémies le droit d’entrer dans le quartier. En effet, plus de 400.000 personnes sont entassées dans moins de 4 km2. Tous les jours, elle s’y rend, avec d’autres membres du groupe pour y apporter de la nourriture, des médicaments ou encore des vêtements. Plus tard, elle racontera : « En entrant dans le ghetto, je mettais sur moi le brassard avec l’étoile de David. C’était, pour moi, un geste de solidarité avec la population enfermée dans le ghetto. Il s’agissait aussi de ne pas attirer l’attention des Allemands et de ne pas inspirer de crainte aux Juifs qui ne nous connaissaient pas encore. » Pendant l’été 1942, les déportations s’intensifient et, au début de l’hiver, il ne reste officiellement que 40.000 personnes dans le ghetto. Alors que les conditions de vie dans le secteur empirent et que, chaque jour, des milliers de personnes meurent de froid, de faim ou de maladie, le gouvernement polonais en exil à Londres crée une Commission clandestine d’aide aux Juifs : Zegota. Comme depuis trois ans déjà, Irena opère avec le service d’aide sociale sous le pseudonyme de sœur Jolanta, elle est alors nommée directrice de la section d’aide aux enfants juifs et elle reçoit de l’argent et des faux papiers pour pouvoir aider encore plus de jeunes.
Dans son action, elle éprouve souvent des difficultés à convaincre les parents de lui laisser leurs enfants car elle ne peut leur fournir aucune garantie pour leur sécurité. Souvent, les pères sont d’accord de donner l’enfant mais les mères refusent de sorte que, régulièrement, Irena apprend quelques jours plus tard leur départ en train pour un camp. D’autres acceptent avec soulagement de confier leur enfant et les préparent même parfois pendant des mois à vivre du côté aryen. Mais cela n’empêche pas des scènes de séparations déchirantes. De plus, malgré les rumeurs persistantes, beaucoup peinent à croire que les Allemands veuillent les exterminer. Ils pensent que ce sont des gens cultivés, incapables d’une telle barbarie. D’autres familles sont également réticentes car elles craignent que leurs enfants soient convertis de force au catholicisme.
Irena s’assure la collaboration de membres de la police juive pour connaître le calendrier des déportations. Certains policier, dégoûtés par les atrocités commises dans le ghetto, permettent la fuite de groupes de jeunes juifs qu’ils escortent à l’extérieur du ghetto pour aller travailler. Alors, l’organisation d’Irena, et la Résistance polonaise, organisent leur fuite hors de Varsovie.
Pour faire sortir les jeunes enfants qui lui sont confiés, elle met au point différents systèmes et s’assure la complicité de dizaines de personnes. Grâce à des ouvriers de la ville qui ont l’autorisation d’entrer avec leurs camions, certains enfants sortent du ghetto, cachés dans des boites à outils ou des sacs de pommes de terre. Elle a même dressé un chien qui l’accompagne à aboyer pour couvrir le bruit des pleurs, ou encore, elle endort les enfants avec des somnifères légers. D’autres enfants sortent du ghetto via les égouts, les caves des maisons situées le long du ghetto, ou encore par le Palais de Justice qui dispose de deux entrées, une du côté du ghetto, l’autre du côté aryen. Après leur sortie, les enfants sont d’abord accueillis dans une famille de confiance qui leur apprend leur nouveau prénom et les règles de leur nouveau mode de vie, dont les prières catholiques, avant de les placer de manière plus longue dans des couvents (environ 500 enfants), des familles courageuses (environ 1300 enfants) ou encore d’autres structures en fonction des possibilités. Les familles et institutions qui recueillent ses enfants reçoivent une petite aide financière et des colis de vêtements et de nourriture. Cependant, certaines familles refusent ces contributions. Les personnes qui aident à sortir les enfants du ghetto prennent un grand risque et sont souvent aidés par des anonymes. Irena raconte : « Un jour, Jaga Piotrowska [une de ses « complices »] escortait un petit garçon de quelques années. Cet enfant, enlevé à sa mère, pleurait et l’appelait en yiddish. Mon courrier blêmit, car cela avait attiré l’attention de tous les passagers et qu’à proximité se trouvaient des Allemands. Le conducteur du tramway entendit les pleurs de l’enfant et comprit l’horreur de la situation. Il arrêta donc le tramway disant que moteur était tombé en panne et qu’il devait rentrer au dépôt. Quand tout le monde fut descendu, il alla vers Jaga et lui a demanda : ‘Où dois-je vous conduire ?’ ».
En avril 1943, pendant l’insurrection du ghetto, Irena et ses amis continueront à évacuer des enfants, multipliant les points de sortie jusqu’à ce qu’on leur interdise d’entrer dans le ghetto. Alors, ils devront doubler de prudence pour cacher ces enfants échappés, car les Allemands intensifiaient les contrôles.
Avant l’automne 1943, Irena avait déjà réussi à faire sortir plus de 2.500 enfants, avec la complicité de nombreuses personnes. Elle leur fournit une nouvelle identités chrétienne grâce à de faux certificats de baptême avant de les placer dans des orphelinats, des familles d’accueil, des hôpitaux ou encore des couvents. Quant aux plus âgés, ils seront envoyés rejoindre les partisans dans la forêt. Elle prendra soin de noter le vrai nom de chaque enfant avec sa nouvelle identité afin de pouvoir les rendre à leurs parents après la guerre. Par mesure de précaution, elle tiendra seule, pendant toute la guerre, le « registre » des enfants, inscrivant leurs noms sur des bandelettes en papier de soie enroulées dans un cylindre. Après son évasion de prison, elle reviendra les enterrer dans son jardin, consignés dans un bocal. Quand il s’agira de sauver des adultes, son organisation fournira alors d’authentiques cartes d’identités.
Le 20 octobre 1943, la Gestapo finira par l’arrêter, ainsi que plusieurs de ses collègues, et la détiendra à la prison de Pawiak. Lors de l’arrivée des Allemands dans son appartement, elle aura pu confier le registre des enfants à une de ses amies présente qui les cacha dans ses sous-vêtements pendant toute la fouille de l’appartement. Elle avait été dénoncée par le propriétaire d’une blanchisserie où elle allait chercher le linge d’une personne qui n’existait pas : Konrad Zegota. Mais le paquet qu’on lui donnait contenait de l’argent et des fausses pièces d’identité. Arrêté, le propriétaire avait donné, sous la torture, plusieurs noms des membres du groupe. Malgré la torture qui la laissera handicapée à vie, Irena refusera de dévoiler les noms des enfants sortis du ghetto et de leurs familles d’accueil. Comme les Allemands pensaient qu’elle n’était qu’un pion, ils voulaient qu’elle leur donne le nom des chefs du réseau. Ils n’imaginaient pas qu’elle était de ses dirigeantes. Après trois mois d’interrogatoire, Irena sera condamnée à mort par les nazis. Pendant tout ce temps, ses amis lui feront passer des messages pour la soutenir. Elle réussira à s’échapper grâce au groupe Zegota qui avait acheté un gardien de la prison, lequel avait noté dans le registre qu’Irena avait été fusillée alors qu’il l’avait laissée partir. Le réseau lui donna une nouvelle carte d’identité. Elle s’appellera désormais Klara Dabrowska et, alors que son mari se trouvait dans un camp, elle entrera dans la Résistance car elle devait couper toutes ses relations avec la Direction municipale de Varsovie. Quelques semaines après son évasion, les Allemands découvriront la vérité et la rechercheront activement. En fuite, elle ne pourra pas assister à l’enterrement de sa mère qui vivait avec elle jusqu’à son arrestation.
Lors de l’Insurrection de Varsovie, elle travaillera comme infirmière dans une antenne sanitaire. Là, elle soignera les blessés et continuera à cacher des Juifs qu’elle faisait passer pour des blessés.
Après la guerre, elle restera très discrète sur ses activités, d’autant plus que le régime communiste n’appréciait pas beaucoup les héros de guerre comme elle. Dès la libération, elle sera employée par le Ministère de la Santé. Parallèlement, elle commencera alors à rechercher les familles des enfants qu’elle avait sauvés pour les réunir, si les parents étaient encore en vie. Après avoir divorcé de son premier mari en 1947, elle épousera Stefan Zgrzembski, avec qui elle avait travaillé pendant toute la guerre. Durant le reste de sa vie, elle restera en contact avec une partie des enfants qu’elle avait sauvés, puis de leurs enfants. Souvent, elle était la seule à avoir connu les parents de ces enfants maintenant devenus adultes, pouvant ainsi répondre à leurs questions.
Son histoire a été mise en lumière au début des années 2000 grâce à des adolescents américains qui étudiaient l’histoire de l’Holocauste à l’école et qui, pour écrire une pièce de théâtre retraçant son histoire, avaient pris contact avec Irena. En 2001, ces élèves iront à Varsovie rencontrer Irena. Les médias s’intéresseront alors à elle et son nom deviendra connu dans le monde entier. Déjà en 1965, elle avait reçu la médaille des Justes parmi les Nations mais elle n’avait pas pu se déplacer en Israël pour recevoir le prix car le gouvernement polonais de l’époque lui avait refusé un passeport. Ce n’est qu’en 1983 qu’elle pourra se rendre en Israël pour planter son arbre dans l’allée des Justes. En 2003, elle recevra, à Washington, le Prix Jan Karski « pour endurance et courage » et elle sera décorée de l’Ordre de l’Aigle Blanc, la plus haute distinction civile polonaise. Puis, en 2007, elle est honorée par le Parlement polonais qui la proposera pour le Prix Nobel de la Paix. Elle mourra le 12 mai 2008, à l’âge de 98 ans.
Publié précédemment dans la Centrale, n° 330, décembre 2013, pp. 10-11.
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