Vous connaissiez Superman et Batman. Sûrement Hulk et Captain America, aussi. Aujourd’hui, permettez-moi de vous présenter Shaloman, le super-héros le plus juif de l’imaginaire du neuvième art !
Tous ces personnages appartiennent au genre des « comics », des bandes dessinées américaines de super-héros. Né en 1938 de l’imagination de Jerry Siegel et du crayon de Joe Shuster, Superman en fut le pionnier. Très vite, le genre connut un essor remarquable et les protecteurs de l’humanité se succédèrent. En 1939, Batman, créé par Bob Kane, fit sa première apparition. A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, en 1940, Joe Simon et le dessinateur Jack Kirby donnèrent naissance à Captain America, annonçant l’avènement d’une nouvelle vague de super-héros patriotes. L’après-guerre connut un certain essoufflement du genre mais, à partir de 1956, une nouvelle période de faste nommée l' « âge d'argent des comics » fut à l’origine d’une multitude de nouveaux super-héros. Stan Lee s’associa à Kirby pour créer les Quatre Fantastiques, Hulk et Thor, sans oublier les célèbres mutants d’X-men. Le même auteur donna également naissance à Spiderman et à Iron Man, dessinés par d’autres mains.
Le point commun entre tous les personnages cités ? Leurs créateurs étaient tous juifs, comme de nombreux autres auteurs de comics. Une telle profusion de Juifs dans ce domaine peut être expliquée par le contexte de la fin des années trente où les membres de la communauté, victimes d’un antisémitisme croissant, peinaient à trouver de l’emploi dans d’autres branches. Des Juifs se mirent à dominer l’industrie toute neuve des comic books, lesquels firent bientôt l’objet une forte demande. Il y avait donc de la place, dans le secteur, pour les membres de la communauté du Livre.
Rien d’étonnant, donc, à ce que l’on aperçoive Superman et Captain America se battre contre les méchants nazis. Et que les X-men soient victimes du rejet du reste de la population, parce qu’ils sont « différents ». Pour sa part, Magneto, le super-vilain des X-men, voue une haine féroce à l’humanité, sentiment expliqué par son enfance passée dans un camp de concentration nazi. Quant à Superman, dont le vrai nom est Kal-El (« tout ce que Dieu est », en hébreu), il vient de Krypton, une planète dont les habitants, une race de brillants scientifiques, furent massacrés par une autre civilisation. D’aucuns lui prêtent même des similitudes avec le Golem, créature de pierre invincible et créée pour combattre le mal, dans la mythologie juive.
Et cette référence s’applique encore mieux à un autre super-héros dont le succès fut néanmoins bien loin d’atteindre celui rencontré par Superman. Il s’agit de Shaloman, alias « l’Homme de pierre » ou encore « le Croisé casher (sic !) ». Shaloman est un être mystique. Il se présente comme une pierre trônant au sommet du mont Israël et taillée, sous l’effet de la foudre, en forme de « shin », la lettre hébraïque du début de shalom (la paix), et que l’on retrouve sur la poitrine de notre super-héros. Sa transformation survient à chaque fois que résonne le cri de désarroi « Oy vey », du yiddish. Grâce à sa force surhumaine, il catapulte les « super-terroristes arabes » vers les confins de notre galaxie. L’Homme de pierre peut aussi voler, et à telle vitesse qu’il crée des vortex et entre en orbite, tout cela sans avoir besoin de respirer, bien entendu. Mais, ce n’est pas tout, notre super-Juif est aussi capable de voir dans le noir et possède une vision télescopique. Au fil des numéros, Shaloman prend part à des aventures plus rocambolesques les unes que les autres, dans un univers rempli de Torah, de Menoras, de Tables de Moïse et de matzot.
Son créateur et dessinateur, Al Wiesner, est Américain. Selon lui, bien que l’auteur de Superman soit juif, lui aussi, l’Homme d’acier était souvent considéré par ses fans comme un américain protestant. Wiesner estimait qu’il manquait cruellement à sa communauté un personnage de comic faisant figure de modèle à suivre et proclamant haut et fort sa judéité. C’est pour cette raison qu’il créa Shaloman en 1988. La bande dessinée fut publiée aux Etats-Unis jusqu’en 2012, mais ne connut jamais un réel succès. Il faut dire que notre personnage tombe carrément dans la caricature, au point de paraître ridicule aux yeux de certains.
N.B. : Pour plus de détails sur la présence des Juifs dans le domaine de la bande-dessinée américaine, lire l’ouvrage de non-fiction d’Arie Kaplan, From Krakow to Krypton: Jews and Comic Books (JPS)
Première parution dans la Centrale n°340 (juin 2016)
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