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  • Photo du rédacteurThomas Gergely

Raoul Wallenberg


L'HOMME


Raoul Wallenberg est né à Stockholm le 4 août 1912, trois mois après le décès de son père, un officier de la marine suédoise. Quelques années plus tard, sa mère, Maj Wising Wallenberg, se remaria avec Frederik von Dardel, directeur de l'hôpital Karolinska. L'éducation qu'il reçut devait faire de lui un citoyen du monde. Après avoir terminé ses études dans une école secondaire de Suède, il alla étudier l'architecture à l'Université de Michigan. Il obtint son diplôme en 1935. Au cours des années qui suivirent, il fit plusieurs voyages d'études et d'affaires, pour le compte de la famille Wallenberg, en Amérique du Sud, en Afrique du Sud et en Palestine. II travailla également pour plusieurs banques à l'étranger. En 1939, Wallenberg devint l'associé d'un réfugié juif hongrois, Koloman Lauer, qui dirigeait une société d'import-export. Sa connaissance de plusieurs langues étrangères lui permit de faire de nombreux voyages en Europe, et notamment en Allemagne, dans la France occupée par les troupes d'Hitler et en Hongrie. C'est là qu'il se rendit pleinement compte du sort réservé aux Juifs par le régime nazi et qu'il décida de défendre leur cause.


Raoul Wallenberg (domaine public)

SES ACTES


Au printemps de l’année 1944, le monde commença enfin à prendre conscience de ce que représentait pour Hitler « la solution finale du problème juif ». En Hongrie, Adolf Eichmann fit déporter 400.000 Juifs à Auschwitz, entre le 14 mai et le 8 juillet. À l’époque, la Suède recherchait une forte personnalité pour venir en aide aux Juifs de Hongrie. Elle la trouva en Raoul Wallenberg. À l’abri de la neutralité de son pays, Wallenberg commença sa mission dans la capitale hongroise le 9 juillet 1944, mais, déjà, le temps pressait. En effet, il ne restait plus à Budapest que 200.000 Juifs qui, jusque là, avaient été plus ou moins épargnés par les nazis, à cause de la présence d’observateurs étrangers. Mais Eichmann avait l’intention de « régler ce problème » dans les tout prochains jours, comme il l’avait écrit dans un rapport envoyé à Berlin. Suite à l’intervention du Roi Gustave V de Suède, l’Amiral Horthy, l’administrateur du Reich en Hongrie, marqua un temps d’arrêt dans les déportations de Juifs. Cette pause était également liée aux négociations que Himmler menait avec les Alliés dans l’espoir de signer une paix séparée. Pendant cette brève trêve diplomatique, Raoul Wallenberg allait pouvoir entamer sa mission. Déjà, la Croix-Rouge hongroise faisait de son mieux pour accomplir sa mission humanitaire. Raoul Wallenberg se mit aussitôt à l’œuvre; mais ses méthodes peu conformes à l’esprit diplomatique choquaient les autres membres de la légation. Toutefois, son efficacité lui permit de convaincre ses détracteurs et de mobiliser les bonnes volontés autour de son action. Imaginatif et courageux, il fit d’abord imprimer un passeport revêtu du sceau officiel de la Suède : il portait la mention que son titulaire était autorisé à émigrer en Suède et qu’il était sous la protection du gouvernement suédois. Dans un premier temps, Raoul Wallenberg parvint à convaincre les autorités hongroises de reconnaître la validité de 4.500 passeports. Mais cette opération se poursuivit pendant toute la durée de sa mission. Par la suite, il trouva 32 maisons qu’il plaça sous la protection d’un drapeau suédois pour y mettre en sécurité les Juifs

titulaires d’un visa d’émigration. Entre-temps, il était parvenu à s’entourer d’une centaine de collaborateurs - tous juifs - qu’il avait ainsi pu dispenser de porter l’étoile de David. Il fit également baptiser des Juifs afin qu’ils ne soient plus considérés comme tels par les nazis. Une fois, il se rendit à une gare où des soldats SS étaient prêts à déporter un groupe de Juifs. Comme ils ne comprenaient pas le hongrois, il cria aux prisonniers « Tous les gens qui parlent le hongrois et qui ont un laissez-passer, par ici ! ». Tous comprirent l’astuce et sortirent de leur poche tout papier rédigé en hongrois pouvant vraiment passer pour un passeport : des certificats de naissance, des attestations diverses... Parfois, il remontait des colonnes de Juifs déportés, avec des camions transportant des vêtements, des chaussures, de la nourriture, des médicaments...


En août 1944, le chef de l’État hongrois, Horthy, démit son Premier ministre proallemand Sztojay, pour le remplacer par le Général Lakatos. La situation des Juifs s’améliora alors sensiblement. À cause de la pression diplomatique - orchestrée et amplifiée par Raoul Wallenberg – Adolf Eichmann fut déchargé de sa responsabilité de « résoudre le problème juif ». Comme les troupes soviétiques avançaient rapidement vers l’Europe centrale, Wallenberg crut que sa mission pourrait bientôt prendre fin.


Le 15 octobre, Miklos Horthy annonça à la radio qu’il recherchait une paix séparée avec les Russes. Mais il fut aussitôt déposé et remplacé par le chef des nazis hongrois, Ferencz Szalassi. Adolf Eichmann fit sa réapparition, la campagne de terreur contre les Juifs reprit de plus belle et Raoul Wallenberg redoubla d’efforts pour arracher les Juifs des mains de leurs persécuteurs. Les « maisons suédoises » continuèrent à se multiplier dans la capitale hongroise pour atteindre le nombre de 15.000. D’autres missions diplomatiques à Budapest se mirent alors à s’inspirer de la méthode de Wallenberg et à distribuer des passeports. Le gouvernement Szalassi déclara ces passeports invalides. Mais Wallenberg parvint à se ménager la complicité de l’épouse du ministre hongrois des Affaires étrangères et à rétablir leur validité.


De son côté, Eichmann continuait imperturbablement sa politique d’extermination et le 20 novembre 1944, il commença à envoyer de grands contingents de Juifs, à pied, jusqu’à la frontière autrichienne à 200 km de Budapest : ce fut la première des marches de la mort. Raoul Wallenberg ne cessait de monter au créneau, mettant même sa propre vie en danger, pour sauver la vie de milliers de déportés. Il remontait infatigablement les colonnes de prisonniers pour leur donner des passeports et les arracher à une mort certaine. Plusieurs fois, des soldats reçurent l’ordre de l’abattre, mais ils étaient tellement impressionnés par son courage qu’ils rataient volontairement leur cible. Entretemps, le nombre de ses collaborateurs profitant de l’immunité diplomatique - tous juifs - passa à 700.


Au mois de janvier 1945, Wallenberg apprit qu’Eichmann avait décidé la liquidation du plus grand ghetto juif de Budapest. Mais il parvint à intimider le Général August Schmidthuber, commandant des troupes allemandes en Hongrie, en le menaçant de le tenir personnellement responsable du massacre projeté et de le faire pendre comme criminel de guerre, après la victoire. Grâce à son intervention, la décision ne fut pas appliquée et quand les Russes arrivèrent quelques jours plus tard, ils délivrèrent les 97.000 Juifs des ghettos de Budapest.


On pense que Raoul Wallenberg a pu sauver 100.000 Juifs hongrois des mains des nazis.



DISPARITION DE RAOUL WALLENBERG


Le 15 janvier 1945, les troupes soviétiques occupèrent Pest, la partie de la capitale où se trouvait Wallenberg. Le lendemain, le vice-ministre soviétique des Affaires étrangères, M. Vladimir Dekanosov, informa le chef de la mission diplomatique suédoise à Moscou, M. Staffan Söderblom, de ce que Wallenberg était vivant et que les autorités militaires soviétiques avaient pris les mesures nécessaires pour assurer sa protection ainsi que celle de ses biens.


Le 17 janvier, Wallenberg se rendit au quartier général de l’armée soviétique à Debrecen avec son chauffeur Vilmos Langfelder et une escorte soviétique. En cours de route, ils s’arrêtèrent une fois encore à l’une de leurs « maisons suédoises » pour saluer des amis. À l’un d’eux, le Dr Ernö Petö, il confia qu’il ignorait si les Soviétiques l’accueilleraient comme un hôte ou comme un prisonnier. Il promit d’être de retour avant une semaine, mais il ne revint jamais.



PREUVES DE LA SURVIE DE RAOUL WALLENBERG


Des témoignages ultérieurs ont permis de retracer l’itinéraire suivi par Raoul Wallenberg, peu après sa disparition. Arrêté avec son chauffeur par le NKVD - le nom du KGB à l’époque - il fut emmené à la prison de la Loubianka à Moscou et enfermé dans la cellule n°123, qu’il partagea avec un certain Gustav Richter et un lieutenant autrichien du nom de Scheuer. Quant à Vilmos Langfelder, il se retrouva

dans la cellule de Willi Roedel, un ancien conseiller de la légation allemande en Roumanie, et d’un interprète allemand, Jan Loyda. Il quitta la Loubianka le 18 mars pour être transféré dans une autre prison de la capitale, Lefortovo. Après son départ, Wallenberg occupa sa cellule à la Loubianka. Vers la mi-mai, Wallenberg et Willi Roedel furent acheminés vers Lefortovo où ils occupèrent la cellule 203. Le détenu de la cellule 202, Willi Bergemann, parvint à s’entretenir en allemand avec Wallenberg, en frappant en morse sur les tuyaux qui passaient dans les différentes cellules. C’est ainsi que l’on sait que Raoul Wallenberg a demandé à plusieurs reprises à entrer en contact avec son ambassade. Les témoins sont nombreux : Ernst Wallenstein, assistant scientifique à la légation allemande à Bucarest, Karl Suprian, ancien secrétaire-général à l’Institut scientifique allemand à Bucarest, Claudio de Mohr, ancien consul italien en Bulgarie, Bernard Rensinghoff, ancien conseiller commercial à la légation allemande à Bucarest...


Le 27 juillet 1947, tous ceux qui avaient été en contact avec Raoul Wallenberg fuient longuement interrogés sur le contenu de leurs entretiens et sommés de ne plus jamais prononcer son nom. Ils furent également, pour la plupart, placés en isolement cellulaire absolu.


Le 18 août 1947, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Andrei Vynchinsky, envoya une note à l’ambassadeur suédois Söderblom pour l’informer qu’après « une enquête minutieuse, il avait été établi que Wallenberg ne se trouvait pas en Union soviétique ». L’affaire Wallenberg semblait donc close, du moins officiellement.


À la mort de Staline, beaucoup de prisonniers de guerre étrangers profitèrent d’une amnistie et purent rentrer chez eux. Un certain nombre de témoignages commencèrent à arriver en Occident, laissant supposer que, dans les années 50, Raoul Wallenberg était toujours détenu dans les camps soviétiques.


En 1956, le Premier ministre de Suède, M. Tage Erlander, et son ministre de l’Intérieur, M. Gunner Hellund, rendirent visite à Khrouchtchev à Moscou et lui soumirent le dossier Wallenberg. Un an plus tard, les autorités soviétiques déclarèrent qu’on avait retrouvé un document signé par le colonel Smoltsov, chef du service médical de la prison de la Loubianka, selon lequel Raoul Wallenberg était mort en prison le 17 juillet 1947, victime d’un infarctus, et que son corps avait été incinéré. Malheureusement, le colonel Smoltsov était décédé en mai 1953 et le ministre soviétique de la Sécurité de l’État, Abakumov, avait été exécuté lors de purges staliniennes. Il n’était donc pas

possible d’obtenir un complément d’information.


L’affaire Wallenberg tomba alors un peu dans l’oubli. Mais à la fin des années 70, de nouveaux témoignages firent rebondir l’affaire. En 1978, un Juif polonais vivant en Israël, Avraham Kalinski, révéla des informations détaillées sur la présence de Raoul Wallenberg à la prison Vladimir, à la fin des années 50. Vers la même période, d’autres informations en provenance d’Union soviétique même indiquaient que Wallenberg était toujours vivant et qu’au milieu des années 70, il était toujours détenu au Goulag. Sur base de ces témoignages, le ministre suédois des Affaires étrangères demanda aux autorités soviétiques de procéder à une nouvelle enquête. Mais la réponse resta invariable : Raoul Wallenberg était mort d’un infarctus, à la Loubianka, en 1947. Au cours des années 80, le gouvernement suédois fit de nouvelles démarches auprès de Moscou, mais sans succès. Le ministère suédois des Affaires étrangères dispose d’un dossier de 20.000 pages sur l’affaire Wallenberg.


En janvier 1981 eut lieu à Stockholm un tribunal Wallenberg. Plusieurs anciens prisonniers des camps soviétiques vinrent témoigner de la survie de Raoul Wallenberg aux dures conditions du Goulag. Le Français André Shimjevitch, qui a été en captivité de 1930 à 1957, a déclaré avoir partagé la cellule de Wallenberg à la Loubianka en décembre 1947. Un docteur juif autrichien affirme l’avoir soigné au camp de Khalmer-Yu, au cours de l’été 1948. Le Danois Mogens Carlson affirme avoir rencontré un professeur hongrois, Zoltan Rivo, qui avait partagé la cellule d’un diplomate suédois, à la prison de Boutyrka, tout au début de 1951.


Günther von Rehekampff, le Suisse Emil Brugger, Général Kuprianov, Otto Schoggl, Kruminsh... et beaucoup d’autres démentent la déclaration officielle de décès et abondent dans le sens de la survie de Raoul Wallenberg.


Parmi les tout derniers témoignages, il faut citer celui de Iossif Terelya, qui a émigré aux États-Unis en 1987. Cet Ukrainien, qui a passé près de la moitié de sa vie dans les camps et les asiles psychiatriques, a rencontré en 1973 un Lituanien du nom de Bogdanas qui lui a affirmé avoir connu Wallenberg, à Norilsk, en 1953, avant d’être transféré avec lui à la prison de Kazan.

Selon l’écrivain suédois Kenne Fant, Raoul Wallenberg aurait été en traitement à la clinique du camp de Blagovechtchensk (Sibérie), à la date du 22 décembre 1986. Dans le passé déjà, le célèbre astronome soviétique Cronid Lubarsky en exil à Munich a soutenu que Wallenberg se trouvait dans ce camp. Et Abraham Shifrin prétend dans un livre qu’il y était déjà en 1978.*



Actualisation de l’article, rédigé par Aurélie Collart :

Le professeur et physicien Guy von Dardel, retraité du CERN, a passé une grande partie de sa vie à rechercher activement son demi-frère, Raoul Wallenberg, créant, en 1991, un groupe de travail russo-suédois responsable d’inventorier quelque 50.000 pages d’archives militaires et gouvernementales de l’ancienne Union soviétique. Aujourd’hui, la nièce de Wallenberg, Louise von Dardel, a repris le flambeau et continue de faire pression sur les gouvernements de différents pays afin d’en apprendre davantage sur son oncle et les circonstances de la mort de celui-ci.




*Article publié précédemment

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