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Les Juifs de Bruxelles et la peste noire

Dernière mise à jour : 22 oct. 2021

Article rédigé par Angélique Burnotte, licenciée en histoire (ULg), chercheuse et assistante de direction à l'Institut d'Etudes du Judaïsme.


Au Moyen Age, en Europe, les Juifs sont fréquemment accusés d’empoisonner les puits et de profaner les hosties. Ces reproches conduisent le plus souvent aux massacres de familles juives et à la confiscation de leurs biens. Les exécutions des Juifs lors de l’arrivée de la peste noire à Bruxelles en 1349 en sont un exemple.


Enterrement de victimes de la Peste en Belgique, Détail d'une miniature des « Chroniques et annales de Gilles le Muisit », abbé de Saint-Martin de Tournai, Bibliothèque royale de Belgique (Domaine public)

Au début du XIVe siècle, une petite communauté de Juifs vivait dans le Brabant et à Bruxelles. C’étaient principalement des marchands et des prêteurs sur gages originaires d’Allemagne, d’Angleterre et de France. Ils étaient sous la protection du Duc de Brabant, Jean II qui avait besoin d’eux et de leurs prêts au trésor ducal. Ils devaient également lui payer une redevance en tant que Juifs.


En 1309, lors de la Croisade suscitée par le pape Clément V, des troupes de croisés en route pour Avignon avaient déjà massacré des Juifs qui refusaient le baptême. Le Duc de Brabant avait alors protégé « ses » Juifs réfugiés dans son château de Genappe. Après cet événement, les Juifs s’installèrent à proximité du château du duc où ils pouvaient vivre en sécurité.


Dès 1347, une épidémie de peste noire se propage en Europe. Sur cinq ans, elle provoque la mort de millions de gens, plus d’un tiers de la population européenne disparaît. La population, extrêmement pieuse, cherche une explication à ce châtiment divin. On voit apparaître alors, avant l’arrivée de la maladie dans une ville, les Flagellants, groupe d’hommes qui, par des prières, pénitences et flagellations, tentent d’obtenir le pardon de Dieu. Dans le même temps, les mêmes qui se flagellaient pour implorer le pardon, supplicient les Juifs afin de les empêcher « d’empoisonner » les puits et l’air. Déjà quelques années avant l’apparition de ce fléau, les Juifs étaient accusés d’empoisonner les eaux afin de détruire le monde chrétien. Avec la propagation de l’épidémie, et la terreur provoquée par celle-ci, très vite la rumeur se répand que ce sont les Juifs qui sont responsables de la peste et qu’il faut les neutraliser avant qu’ils n’aient le temps d’empoisonner les puits. Pourtant, ils sont atteints de la maladie comme leurs voisins chrétiens et, en juillet 1348 déjà, le pape Clément VI avait publié une bulle affirmant la fausseté de ces accusations. Or, depuis des siècles, les Juifs ont toujours été les principaux boucs-émissaires en cas de catastrophe ou de problèmes économiques. Exclus des confréries et des corporations, ils n’étaient ni bourgeois, ni paysans. Ils vivaient dans la cité avec un statut à part les exposant plus que quiconque à l’irrationalité populaire. De plus, l’Eglise accusait régulièrement les Juifs de tuer des chrétiens et de vouloir détruire la chrétienté. C’est pourquoi seuls les chrétiens accusèrent les Juifs de la propagation de la peste, contrairement aux musulmans et aux Mongols qui souffraient du même fléau sans penser à l’attribuer aux Juifs.


Parmi ces attaques qui ont lieu partout en Europe et dans les Pays-Bas, les massacres les plus connus sont ceux de Strasbourg et de Mayence. Dans nos régions, la peste apparaît d’abord à Tournai en août 1349 avant d’arriver dans le duché de Brabant. Rapidement, les Juifs en sont la cible. Certains sont massacrés et brûlés par la population, d’autres sont emprisonnés puis condamnés à mort par le Duc Jean III tout à fait légalement, tant l’idée de leur culpabilité ne fait aucun doute dans l’esprit des gens. Les exécutions s’enchaînent pendant plus d’un an, même une fois l’épidémie arrivée dans le duché, principalement à Bruxelles, Louvain et Anvers, et probablement dans d’autres villes. Et souvent, les biens des personnes exécutées sont confisqués par l’Etat ou pillés par la population locale. De plus, certaines personnes profitent de la mort de leurs créanciers pour faire annuler leurs dettes.


Après l’épidémie, les Juifs disparaîtront du Brabant, et peu de textes mentionneront encore leur présence. Les autorités du duché perdront beaucoup d’argent avec la disparition des Juifs et des profits qu’ils leur apportaient. Pourtant, les responsables des massacres ne seront presque jamais poursuivis, probablement parce qu’une partie d’entre eux sont morts de la peste, mais aussi parce que l’épidémie aura déstabilisé la société toute entière. En outre, punir les responsables ne sera pas une priorité. Par la suite, les quelques familles encore présentes à Bruxelles en 1370 périront suite à l’accusation de profanation des hosties.



Pour en savoir plus :

Jean Stengers, Les Juifs dans les Pays-Bas au Moyen Age, Bruxelles, Palais des Académies, 1950.



Article publié précédemment dans « La Centrale », n° 334, décembre 2014, p. 14.


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