On le sait : George Frédéric Haendel, né le 23 février 1685, a été donné au monde il y a juste trois cents ans. La célébration de son anniversaire a cependant quelque peu été éclipsée par les commémorations consacrées à son « cadet », Jean Sébastien Bach, né la même année que lui, mais vingt-six jours plus tard. On serait naturellement tenté de comparer ces deux géants de la musique et, même à l'instar de certains audacieux, de les classer. Démarche vaine, croyons-nous, car à leur hauteur, il en va des individus comme des parallèles : ils ne se croisent qu'à l'infini.
Mieux vaut essayer de les saisir par rapport aux hommes pour qui ils ont vécu et qui, à leur tour, ont, de générations en générations, un peu vécu par eux. Et pour des raisons variées. Ainsi, de Haendel à Bach, c'est au premier que sont plutôt allées les faveurs des auditeurs juifs. Non que la valeur du cantor de Saint-Thomas à Leipzig fût en cause, mais la production, surtout vocale, du « Cher Saxon » présentait, par ses thèmes, de quoi flatter la sensibilité d'un public juif, voire de soulever son enthousiasme.
Car il n'est pas de compositeur qui, mieux que Haendel, ait su puiser dans le répertoire biblique de l' « Ancien » Testament et recréer, en des fresques sonores monumentales, l'épopée de la sortie d'Egypte, la tragédie de Samson, la gloire et la déchéance de Saül, la puissance de Salomon, le drame de Pourim, le triomphe de Judas Maccabée, le déchirement de Jephté, et nous en passons.
Le public juif de Londres du XVIIe siècle ne s'y est d'ailleurs pas trompé qui, constitué en bonne partie de « Portugais », descendants de Marranes ou récemment admis en Angleterre, formait déjà, à l'époque, un groupe social commençant à s'intégrer et soucieux de participer à la vie culturelle.
Il serait naturellement abusif de prétendre que les succès ou les échecs de Haendel dépendaient de la faveur des Israélites. Mais ils n'y étaient pas toujours étrangers. On n'en voudra pour preuve que cette explication attribuée au musicien par son librettiste Thomas Morell, au lendemain de l'échec de Théodora (1749) : « Les Juifs ne viendront pas comme pour Judas Maccabeus parce que c'est une histoire chrétienne, et les dames n'y viendront pas non plus parce que c'est une histoire vertueuse » (1).
Vraie, la boutade est plus que significative dans son contexte. Apocryphe, elle prend toute sa valeur au miroir des siècles et permet de comprendre pourquoi, par exemple, le fameux chœur n° 56 de Judas Maccabeus, « See the conquering hero comes », est devenu une sorte de hymne de Hannouca. Tout l'oratorio a d'ailleurs été traduit en hébreu et enregistré il y a quelques années.
Signalons, en guise de conclusion à ce survol, que viennent de sortir chez Deutsche Grammaphon (Archiv) de remarquables versions, parfois anciennes, des oratorios que nous avons évoqués. On trouve ainsi l'Israël in Egypt, le Saül, et le Judas Maccabeus de Charles Mackerras, le Samson de Karl Richter. Ajoutons l'imcomparable version complète de Solomon sous la baguette de John Eliot Gardiner (avec Carolyn Watkinson et Barbara Hendricks !), sortie chez Philips, et, last but not least, le premier enregistrement, à notre connaissance du moins, d'Esther, dirigé par Christopher Hogwood. Une œuvre de jeunesse de Haendel, mais d'autant plus remarquable que son livret se fonde, en bonne partie, sur la tragédie de Racine.
Chacun de ces oratorios appelle, on s'en doute, bien des commentaires. Nous nous emploierons probablement à les fournir à partir des prochains numéros.
(1) Jean-François Labié, George Frédéric Haendel, Paris, Robert Laffont, 1980, p. 318.
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