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  • Photo du rédacteurAlejandra Mejía Cardona

BARBRA STREISAND : CE DRÔLE DE NEZ

Dernière mise à jour : 18 févr. 2022


Le succès escompté en 2018 par Barbra Streisand avec la sortie de son dernier album et la rediffusion de son chef-d’œuvre, « Yentl », 36 ans après sa première sortie en salles, sont la preuve que la réalisatrice, actrice et chanteuse demeure une figure impérissable. Elle a réussi à s’imposer dans les milieux exclusifs des industries musicale et cinématographique, dominés jadis par l’archétype de l’homme blanc, protestant et anglo-saxon. Pourtant, personne n’était prêt à parier sur les chances de la jeune femme. Celle que l’on surnommait autrefois

« la bête », est considérée comme une légende vivante, 60 ans plus tard.


Barbra Streisand, 1973 (cc) Allan Warren. Lien: https://bit.ly/3bGpXBa
Barbra Streisand, 1973 (cc) Allan Warren. Lien: https://bit.ly/3bGpXBa

L’histoire de Barbra Streisand semble tout droit sortie des contes de fées, avec leurs jeunes filles qui dansent gracieusement dans les bras d’un prince charmant, sous la lueur d’un clair de lune reflétée sur leurs cheveux blonds. Sauf qu’elle n’a pas eu besoin de fées, ni de magie, ni de prince qui la couronne et la sorte de l’anonymat. C’est elle l’enchanteresse, l’héroïne d’une histoire qu’elle a écrite elle-même, avec son travail et son talent.


Barbra Streisand est née le 24 avril 1942 à Brooklyn. Elle est le deuxième enfant d’Emmanuel et Diana Rosen Streisand, descendants de migrants de la Galicie et de l’Empire russe. Son grand-père maternel était tailleur et travaillait à mi-temps comme cantor lors des offices de la communauté juive de son quartier.


Alors qu’elle n’avait que quinze mois, Emmanuel Streisand décède soudainement des suites d’une crise d’épilepsie, laissant sa femme et ses enfants dans une situation financière précaire. L’absence de son père accompagnera l’artiste durant toute sa vie, telle une blessure béante. « La seule photo de moi à côté de mon père a été prise par mon frère au cimetière, devant sa tombe », racontera-t-elle dans un documentaire réalisé en 2017 à son sujet. Elle ne savait pas encore qu’elle allait puiser dans ce vide l’inspiration pour interpréter, avec justesse, un grand nombre de rôles au théâtre et au cinéma. Notamment celui de Yentl, le personnage du film éponyme qu’elle réalisa en 1983 et dans lequel une jeune fille polonaise se fait passer pour un garçon afin d’accéder à l’étude du Talmud dans une Yeshiva.


En grandissant, Barbra s’est forgé une réputation d’enfant effronté, turbulent et désinvolte. Réputation qui servait en réalité d’écran à la douloureuse absence et à l’indifférence de sa mère. En 1949, Diana épousa Louis Kind, en secondes noces, et eut un enfant avec lui. Elle voua aussitôt le plus clair de son temps à son nouveau mari, faisant fi du traitement hostile que celui-ci réservait à sa fille. Barbra se démenait malgré tout pour susciter l’affection de ce beau-père méprisant, qui la surnommait « le vilain petit canard » et lui refusait des glaces, car « elle était trop laide pour les mériter ». De surcroît, ses camarades de classe poursuivaient de plus belle les mêmes moqueries sur son corps chétif, sur ses yeux légèrement croisés et sur son nez proéminent, la surnommant « la bête », « Barbara la folle » ou « la mocheté ».


Le théâtre représentait pour elle un exutoire et un moyen de se rapprocher de son rêve le plus cher : devenir une diva. Dans l’attente d’une occasion pour monter sur les planches, elle intègre la chorale de son école et profite de l’acoustique de sa maison pour chanter. Ses voisins se penchaient par la fenêtre et criaient tous azimuts : « N’arrête pas Barbara ! On en veut encore ! » Son quartier est devenu en quelque sorte le scénario idéal pour jouer son premier rôle, celui de la « laide fille à la belle voix ».


Toutefois, elle s’appliquait obstinément à reproduire les gestes des femmes qui apparaissaient dans les annonces publicitaires et étudiait dans une bibliothèque publique de Manhattan les pièces de théâtre de ses comédiennes préférées. Notamment, celles jouées par son idole, Sarah Bernhardt.


En effet, cette comédienne française avait créé un précédent dans le cinéma, grâce à son excentricité, à son mépris des conventions sociales ainsi qu’à la mise en avant de sa judéité. « Quand j’ai appris qu’elle était juive… bon, à moitié juive… je me suis sentie encore plus liée à elle », a-t-elle expliqué récemment dans une interview pour Refinery29. « Elle était intrépide. Elle n’avait pas de scrupules à endosser un rôle masculin, comme celui de Hamlet, à l’âge de 55 ans. Quand elle avait 70 ans, elle jouait encore les rôles de Jeanne d’Arc et de Juliette. Rien ne pouvait arrêter Sarah, et cela était une véritable inspiration ».


Rien ne pouvait arrêter Barbra non plus. À la fin des années 1950, elle prend des leçons de théâtre et participe à de nombreux concours musicaux et d’art dramatique. Sa mère, qui avait abandonné ses propres ambitions musicales en dépit de sa voix de soprano, l’accompagnait parfois aux auditions, sans grande conviction. « Quand je lui ai dit que je voulais devenir actrice, elle m’a répondu : « Et bien, tu n’es pas assez belle. Il vaut mieux que tu coupes tes ongles pour écrire à la machine, comme ça tu auras au moins un boulot», confia-t-elle à un journaliste du New York Times. « Mais je voulais devenir une star de cinéma. Je voulais démontrer à ma mère qu’elle avait tort ».


À l’âge de 16 ans, l’artiste décida de quitter son école, où elle excellait, pour s’installer à Manhattan. Elle rempilait des emplois tels que serveuse, baby-sitter ou préposée à l’accueil d’un théâtre de Broadway. Dans ce dernier, elle parvint à se glisser en catimini dans les cours de théâtre, sous les yeux indulgents des professeurs. Pendant son temps libre, elle passait des auditions, dès que l’occasion se présentait. Hélas, ses nombreux échecs donnèrent raison à sa mère. Sa supposée laideur revenait comme une cruelle épithète qui déterminait toute son identité. Elle était toujours trop. Trop talentueuse, mais au physique ingrat ; trop opiniâtre, trop différente et, surtout, aux traits « trop sémites ». Mais son sort changea radicalement lorsqu’elle rencontra l’acteur Barry Dennen, qui découvrit le potentiel de sa voix et l’aida à se frayer un chemin dans les spectacles des cabarets et des bars gays.


Son succès fut fulgurant. Elle exécutait les morceaux avec une grande liberté rythmique, caractérisée par des variations de vitesse de legato à rubato. De plus, elle incarnait les paroles des chansons d’une manière si envoûtante qu’elle faisait salle comble tous les soirs. Comme ses anciens voisins de Brooklyn, son public en demandait encore.


Réussir grâce à sa judéité et non pas malgré elle


Alors qu’elle effectuait une tournée dans plusieurs villes du pays, les radios et les télévisions commencèrent à s’intéresser à cette jeune femme qui faisait des émules partout où elle se rendait. Elle est invitée à faire sa première apparition à la télévision en avril 1961, dans l’émission The Jack Paar Show. Un an plus tard, elle décrochait son premier rôle à Broadway dans la pièce I Can Get It For You Wholesale, qui lui valut le New York Drama Critics Award et une nomination pour les Tony Awards. Elle remporta ensuite trois Grammy Awards avec son premier album, signé en 1963 chez le producteur Columbia Records.


En seulement quelques années, Barbra Streisand fut montée au pinacle par la presse et par son public. Elle interprétait avec caractère des chansons comme « Cry me a river » ou « My man », aux tonalités d’habitude tristes et résignées, de sorte qu’elle les transformait en revendication féministe. « Bien qu’il n’y ait jamais eu dans le cinéma une personne comme Barbra Streisand, il y avait de millions de Streisand regardant les écrans, comme elle l’a fait elle même avant de devenir une vedette », explique l’essayiste et journaliste américain, Neal Gabler. « Désormais, ils avaient quelqu’un qui “leur appartenait”. Ils ne devaient pas rêver de devenir comme elle, car ils l’étaient déjà. Elle n’était pas Hollywood, mais Brooklyn. Elle n’était pas eux. Elle était nous ».



En 1964, elle se produisit à Broadway, dans la comédie musicale « Funny Girl », qui retrace la carrière de l’actrice Fanny Brice, de son vrai nom Fania Borach. Cette dernière avait suscité un tollé en 1923, en redressant son nez pour dissimuler sa judéité et pour répondre ainsi aux canons de beauté anglo-saxons. Quarante ans plus tard, les mêmes canons de la femme-objet, blonde, pulpeuse et ethniquement assimilée, étaient encore en vigueur. D’ailleurs, les producteurs et journalistes incitaient Barbra à faire de même, pour atténuer ses traits « sémites ». « Ces remarques m’ont toujours contrariée, car même les réalisateurs juifs considéraient que j’étais trop juive, tout comme mes personnages. Pour moi, pas question de faire une rhinoplastie ! Je refuse de trahir mon identité parce que tout ce que je veux, c’est être moi-même ».


L’actrice et chanteuse triompha par son altérité, en s’inscrivant dans les mouvements sociaux des années 1960 qui revendiquaient les droits des femmes et des ethnies minoritaires des États-Unis. Elle était imparable en se produisant avec succès dans les films, les pièces de théâtre, les émissions télévisées et en faisant la une des principaux magazines. Les critiques encensaient sa versatilité et la comparaient à Frank Sinatra, Elvis Presley, Elizabeth Taylor, Audrey Hepburn, et à Lauren Bacall, entre autres.


Scène du film "Yentl", 1983.
Scène du film "Yentl", 1983.

Depuis, elle a battu une quantité innombrable de records artistiques : elle est devenue la seule femme à avoir reçu un Golden Globe du meilleur réalisateur depuis la création de cette cérémonie en 1944. Elle est l’artiste féminine la mieux classée dans le palmarès de la Recording Industry Association of America (RIAA) et détient le record de longévité entre son premier album et le dernier album dans le top dix. Aussi, a-t-elle été récompensée avec plus de 47 disques d’or et 28 disques de platine, sans oublier un Oscar pour son rôle dans l’adaptation au cinéma de Funny Girl.


Barbra la chanteuse, l’actrice, la réalisatrice et la femme d’affaires se confond aujourd’hui avec la Barbra engagée. Au début des années 1970, elle a été inscrite dans la liste « d’ennemis a surveiller » de Richard Nixon, en raison de sa participation à la récolte de fonds pour soutenir le candidat démocrate à la présidentielle, George Stanley McGovern. Actuellement, elle est sous le feu des projecteurs pour ses prises de position à l’encontre du président américain, Donald Trump. Elle milite également contre l’homophobie, le racisme et contre l’antisémitisme.


Ce qui est certain, c’est qu’elle restera dans les annales pour avoir été la première chanteuse et actrice à s’être réclamée juive aux États-Unis, ouvrant la voie à l’émergence d’artistes qui seraient, autrement, restés dans l’ombre. Quand Barbra Streisand change les règles, tout le monde en demande encore.


Première publication dans la Centrale n°352 (juin 2019)


Sources


« Barbra Streisand: naissance d’une diva 1942-1984 », documentaire réalisé par Nicolas Maupied, 2017.

« Barbra Streisand: Redefining beauty, femininity, and power », Neal Gabler, 2016.

« Barbra Streisand Made It Okay To Be Beautiful, Funny, Talented & Jewish », Cohen, Anne, Refinery29, 13 mai 2019.

« Streisand, Still Not Pretty Enough », Weinraub, Bernard, New York Times Archives, 13 nov. 1996.

« La Philosophie de la chirurgie esthétique: Une chirurgie nommée DÉSIRS », DELMAR, Henry, MATTÉI, Jean-François, Broché, 2011.

« The New Jew in film: Exploring Jewishness and Judaism in Contemporary Cinema », ABRAMS, Nathan, Rutgers University Press, 2012.

« Yentl, de Barbra Streisand », chronique de Samuel Blumenfeld, Magazine culturel d’Akadem, décembre 2018.

« Barbra Streisand », MORIEL, Liora, Jewish Women’s Archives, 2009.




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