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  • Photo du rédacteurAdolphe Nysenholc

Amour et Juifs au cinéma

Dernière mise à jour : 18 févr. 2022

à Retha.

"Tu aimeras ton prochain comme toi-même"

(Ancien Testament, Lévitique, 19:18)


Amour


Les Juifs dans la modernité se racontent ou sont racontés dans d’innombrables histoires de cœur au cinéma.


Or, l'image est proscrite par le deuxième commandement. "Tu ne feras point une image quelconque de ce qui est dans le ciel ou la terre..." (Exode 20, 3). Le monothéisme juif d'un D. invisible, infini, se définit contre Sa représentation limitée dans l’espace et le temps. Abraham brise les idoles de son père. Et voilà que le cinéma se présente bel et bien comme un art de l'image, l'image animée, et qui a donné lieu à un néo-paganisme, avec son nouvel Olympe, Hollywood, et ses nouveaux dieux, les stars, auxquels sont voués de véritables cultes. [1]


Et pourtant, du producteur à l'acteur, en passant par le scénariste, le metteur en scène, le décorateur, le compositeur, de nombreux juifs se sont illustrés sur le grand écran. Il est vrai, des juifs laïcisés. Et aussi des protestants.


De fa, le terme originel hébreu est "Tu ne graveras point d'image". Image, dans son sens premier, au moyen âge, signifiait "statue" ; un imagier était un sculpteur. Serait interdite l'image en relief, l'image en tant qu'idole.


Quant aux amours dans les films, elles vont se différencier selon l’objet de leur préférence, par exemple de la mère à l’enfant, de la femme à l’homme, de l’homme à Dieu. Voyons.

 

Amour de la mère


The Jazz Singer d'Alan Crosland (Warner Bros, 1927) met en scène l’amour d’un fils juif pour sa mère. Son père est chantre de synagogue. Mais son fils (incarné par Al Jolson) veut chanter du jazz. Il fuit la maison. Il s’est sécularisé.

Il illustre le parcours de tant de Juifs qui ont apporté le meilleur d’eux-mêmes au cinéma.

Le garçon en quittant les siens désespère sa mère, qui s’en fait pour lui. Par son jeu muet, expressionniste, on voit comment elle donne l’image de la bonne mère, aimante, d’une mater dolorosa. Et le père considère qu’il n’a plus de fils, ce qui fait encore plus souffrir la pauvre femme. Mais elle n’est pas en colère contre son petit.

Le fils prodigue revient à la maison fort de ses premiers succès, et y chante pour sa mère : « Blue skies » d’Irving Berlin.

Blue skies Bluebirds Smiling at me Singing a song Nothing but blue skies Nothing but bluebirds Do I see All day long

Le fils, chanteur de charme, est au piano, pousse sa romance où il avoue en fait ses amours, mais plein de tendresse pour sa mère, avec des œillades complices, ironiques, pour elle, c’est presque Roméo et Juliette ! Elle réagit avec des mines de gamines, gênée que son fils ose lui parler d’amour, lui qui lui dépose même un baiser sur les lèvres. Il s’interrompt de temps à autres de chanter pour lui parler, que grâce à ses cachets elle va pouvoir vivre ailleurs, mieux. Et il plaque son dernier accord. « Ça t’a plu maman ? J’en suis ravi, car plus qu’à n’importe qui, c’est à toi que j’aime faire plaisir. » Et voilà que le père vient s’interposer, rappelle non seulement la loi, l’amour interdit, mais que le fils a trahi, qu’il chante des airs profanes, qu’il est devenu goy, lui le fils du chantre qui devrait s’exercer aux prières de l’orthodoxie pour lui succéder dignement. On y voit l’amour de la mère pour son fils, pleine de compréhension, lui pardonnant le mal qu’il lui a causé, réjouie de la réussite de son enfant.


Les premiers mots entendus au cinéma sont donc les paroles de tendresse adressées à une mère juive par son fils, au cours de cette scène. Car dans le reste du film, les dialogues sont écrits en intertitres comme dans les films muets. Et quand le père survient, scandalisé par ce qu’il entend, le film redevient muet. « Tu ne lui dis pas un mot ? » peut-on lire (réplique de la mère). Avec le père, on ne sait pas parler, il représente l’ancien monde. Mais le cinéma de papa est mort. Le cinéma de l’avenir c’est les talkies, c’est le cinéma du wonder boy adoré par sa mère.


Le fils va revenir in extremis le jour où, engagé la première fois à se produire le soir même à Broadway, son père est mourant. Il est placé devant un dilemme cornélien : remplacer son père à l’office de Yom Kippour à la synagogue ou donner la priorité à sa carrière au music-hall. Il finira par chanter le Kol Nidré traditionnel en cette veille de Jour du grand Pardon, pour son père, qui meurt apaisé. Et le film se termine quand même par le triomphe du fils plus tard sur la scène prestigieuse de ses rêves.

Et là, l’amour du fils pour sa mère, il le proclame en public, tout le monde doit le savoir. Il chante de tout cœur « Mammy », et de nouveau pour elle, assise au premier rang, touchée, émue, sa première fan

Mammy My little Mammy. The sun shines east, the sun shines west, I know where, the sun shines best! It's on my Mammy I'm talkin' about, nobody else's! My little Mammy [2] 

Mais, cette chanson est aussi interprétée avec une ferveur, voire une gestuelle, qu’il manifesta lors de la prière du Kol Nidré. Il se produit avec un chant d’amour et de piété pour cette femme quasi divinisée dans un temple de l’art, adorée comme aucune mère avant, par les vertus du 7ème art. Ce premier film parlant montre la première mère chantée sur les écrans du monde. C’est avec une "yiddishe mamme", glorifiée comme une mère des mères, que le film a remporté un tel succès, que le cinéma parlant s’est imposé comme étant désormais le cinéma.

Le chanteur de Jazz (1927) avec Al Jolson, incarnant Jackie et sa mère (Eugenie Besserer) - Wikipedia Commons
 

Oedipus Wrecks de Woody Allen (in New York Stories, 1989).

Après une mère éplorée, modeste, martyre, voici une mère tyrannique, culottée (pleine de chutzpa, dirait-on en yiddish), qui traite son fils en souffre-douleur. Ce qui fait que le canon de la mère juive est contradictoire, contrairement à ce que véhicule le stéréotype à son sujet.

Le réalisateur d'Oedipus Wrecks, Woody Allen (photo de A.Currell - CC)

Woody, avocat à succès, raconte ses déboires avec sa mère, à un psychanalyste. Il rêve qu’elle est morte : on voit qu’il conduit le corbillard, sa mère lui parle en voix off dans le cercueil, qu’il doit prendre à gauche car il prend le chemin le plus long ; il proteste et elle de répliquer que s’il est méchant, elle n’ira pas au cimetière.


« Je l’aime, dit-il, mais je voudrais qu’elle disparaisse ».


La mère rencontre la fiancée. Et elle ne veut pas de ce mariage. Et devant la jeune femme, elle prend toujours son fils pour un petit garçon qu’elle ne cesse de sermonner, intrusive, mêle-tout, castratrice.


Et voilà qu’ils vont au music-hall, la mère, le fils, sa fiancée et ses trois enfants. Il y a un magicien, qui choisit dans la salle la mère pour faire un tour de passe-passe, mais qui disparaît vraiment !


Le vœu secret du fils est réalisé ! Mais, aussi anxieux, Woody va la chercher partout : se rend chez une amie sourde, téléphone aux hôpitaux. Et il fait mieux l’amour. Du coup, il demande au détective de cesser les recherches. Mais, à peine sorti dans la rue, il a sa mère qui apparaît dans le ciel, au-dessus des gratte-ciel, en plein Manhattan. Elle a une tête aussi grosse qu’une Montgolfière, voit tout, un peu Dieu la mère ! Elle le prend de haut, l’humilie en public avec la foule des badauds ahuris par son apparition céleste, et lui assène son message : « Ne te marie pas ! Elle a 3 enfants… » et, sous-entendu, c’est une shiksa, une non-juive !


On parle du phénomène à la TV [3]. Woody fuit les journalistes qui le harcèlent. La mère, la tête toujours dans les nuages, prend sa défense, surprotectrice ! « Ne lui faites pas de mal, à mon petit ! »


Le psychanalyste, dépassé par les événements, conseille de recourir pour ce cas paranormal à une cartomancienne ou une voyante. Le fils voit sa fiancée le quitter. Il se fiance finalement avec la voyante. Et elle, elle plaît à la mère.

Estimant que sa protestation n’a plus lieu d’être, la mère redescend sur terre, où elle vient fraterniser avec sa future belle-fille : Woody d’abord contrarié, voit que le courant passe bien entre les deux femmes, la belle n’a pas d’enfants et est juive, et il se résigne : sa mère a gagné.


Le film ne montre pas d’abord l’amour tendre d’un fils pour sa mère comme dans le Chanteur de Jazz, mais l’amour égoïste de la mère pour son fils, persécuté par son affection furieuse, infantilisante. De fait, elle jugeait que la fiancée n’était pas un bon parti pour lui. Et elle devint une caricature de la mère dite juive avec son amour étouffant, au point de se manifester en géante de carnaval, pour ne pas dire qu’elle a été imaginée, par son grand garçon, dans sa monstruosité narcissique. Victime d’un amour excessif, possessif de la mère, il se rend compte que c’est au nom d’un vrai amour de mère qu’elle défend les intérêts de son fils. Il finit par la regarder pour la première fois avec une pointe d’affection. Il la comprend enfin, avec un rien d’admiration pour sa stratégie de « yiddishe mamme », qui est arrivée à ses fins.


On peut se demander si l’idée la mère disparue n’est pas un fantasme soft né des mères disparues dans la Shoah tel qu’il a pu traverser l’imaginaire d’un Américain qui a vécu l’Holocauste de loin. Des disparus, après la guerre, hantent d’ailleurs le cinéma, en Italie avec l’Avventura, en France avec l’Année dernière à Marienbad, en Belgique avec Belle de Delvaux… et apparemment, à New York, dans le cas d’un auteur réputé pour son humour juif, et qui ne peut faire abstraction de la destruction du Yiddishland dont est né son sens du witz.

 

La Rafle de Rose Bosch (Légende Films, 2010).

Ce film ne parle pas d’union mais de séparation entre la mère et son enfant.

Pour échapper aux rafles nazies, les enfants juifs furent de plus en plus cachés dans des lieux d’accueil (familles ou institutions). Les mères, héroïques, oblatives, ont eu le courage de se priver de leur enfant afin de le préserver de la déportation. Mais dans La Rafle, la brisure du lien atteint un climax sans précédent. On est durant l’été 1942 dans un camp français (Pithiviers ou Beaune-la-Rolande), et on assiste à la scène insoutenable où les plus jeunes enfants, qu’on n’a pas réussi à placer à temps, sont arrachés sauvagement des bras de leurs mères, qui vont être emportées vers une « destination inconnue ». La sélection se fait à coups de crosse.


Une mère brave le dernier gendarme de faction pour revenir rapidement sur ses pas communiquer à son fils son ultime message : « Enfuis-toi d’ici. Jure-le-moi » crie-t-elle. Ce que son fils fera. Elle se montre d’autant plus courageuse qu’elle pourrait se voir infliger les coups donnés aux femmes protestataires au début.


Son fils par amour pour sa mère fera tout pour obtempérer à son injonction et réaliser son vœu. Il s’échappera des baraquements, passera les fils barbelés et survivra. La cinéaste rapporte là une histoire qui s’est réellement passée. L’amour de la mère plus fort que la mort a sauvé son fils, qui en a témoigné. Il vivra pour sa mère dans un amour de loin, pour un être qui existe partout et nulle part, idéalisé, un peu comme les poètes pour la Dame de leur pensée, dans un amour quasi religieux qu’on aurait pour une sainte.

 

L’amour mystique


Der Dibbuk (Le Dibbouk) de Michal Waszinski (Pologne, 1937) met lui en scène un amour mystique.


Il s’agit d’une adaptation cinématographique de l’œuvre scénique éponyme de Shalom Anski (1916), le chef-d’œuvre du théâtre yiddish.


Le héros, Hanan, pauvre, aime Léa, une jeune fille riche. Elle lui est refusée. Il cherche dans la Kabbale la formule qui lui permettrait de l'avoir pour femme. Il va même jusqu'à pactiser avec Satan. Jeune talmudiste, il tue ainsi en lui D.ieu. Et cela lui est fatal. Son âme errera comme un dibbouk, c’est-à-dire comme un mauvais esprit qui n’arrivant pas à trouver le repos, cherche à s’incarner dans un vivant. Il viendra « habiter » celle qui lui était destinée.

En effet, le père de la jeune fille n'a pas tenu sa promesse de jeunesse. Lui, appelé Sender, et son ami, Nissen, étudiants d’une Yeschiva (une école talmudique), s’étaient juré, avant de regagner leurs villes respectives, de marier leur premier enfant. Mais Nissen, qui donne naissance à un garçon, Hanan, meurt le même jour, emportant avec lui l’accord oral solennellement conclu.


Quant à Sender, devenu un bourgeois nanti, ignorant, après des lustres d’une vie florissante, que Hanan, jeune homme, est l’enfant de son ancien ami, accorde sa fille à un fiancé plus fortuné.


Le jour du mariage, l’âme de Hanan, révolté, sort de sa tombe, et, venant protester jusque sous la ‘houpa (le dais nuptial), s'incarne dans la jeune fille. Sa voix à lui parle par sa bouche à elle. Elle est possédée. On crie « Au dibbouk ! » Et on va assister à son exorcisme par le rabbin de Miropol. Le jeune homme est chassé de la communauté d'Israël. Et Léa, sa promise, mais non accordée, sans lui, se lamente comme sans vie.

Hanna Rovina, Léa, Moscou, 1922

Est ainsi filmé un amour platonique ambigu, le fiancé débouté ‘pénétrant’ en esprit en elle, et elle le portant dans son corps.


Mais le rabbin lève l’excommunication, car si le jeune talmudiste a agi comme un démon, il a subi un outrage à cause du parjure qui réclamait réparation. Et voilà que Hanan est là avec son esprit libre, innocenté. Léa le reconnaît à la voix, l’appelle, s’offre à lui pour qu’il revienne en elle, ouvre les bras avec son manteau qui glisse de ses épaules comme si elle se dénudait, elle l’appelle son « époux », gravit les marches de l’autel, s’allonge « avec lui », sur le lieu où ils auraient dû être unis, mourant dans sa robe blanche avec lui en noces mystiques.


Si Hanan a pactisé avec le diable, Léa : signifie « pas Dieu ». Ils étaient faits pour une communion à jamais.


Ils ont connu un amour passion, où on meurt d’amour, où on est prêt à mourir pour l’autre.

Le Dibbouk, c’est Roméo et Juliette dans le shtetl (la bourgade juive du Yiddishland), avec un amour rendu impossible par les préjugés de famille. Mais se révèle être aussi un Tristan et Yseult avec des amants dont on se rend compte qu’ils étaient destinés l’un à l’autre depuis toujours. Et finit comme l’Exorciste, avec un cas de possession diabolique, l’aimée envahie par l’âme de son amoureux mort, indigné qu’elle puisse être prise par un autre. Il vient en somme la sauver pour vivre à deux un amour éternel, unis dans la mort.

La fiancée, vierge, qui porte en elle son amant mort, se révèle, comme une mère, une femme interdite. L’excommunication est très rare dans le judaïsme. A la limite, la jeune fille vit une maternité à l’envers, matriarche d’une lignée d’enfants mort-née.

Der Dibbuk (1937, de Michal Waszinsk, finale dans la synagogue après l’exorcisme, noce mystique, « Viens… mon époux »
 

Amour platonique


Dans The Great Dictator de Charles Chaplin (United Artists, 1940), l’idylle nouée entre Charlot, barbier du ghetto, et Hannah, orpheline de la guerre 1914-18, n’est pas moins celle d’éternels fiancés, mais qui se pose en d’autres termes. Si Chaplin dans la vie était un Don Juan, l’amour de Charlot dans les films est un amour platonique, quasi « enfantin ». Le film où il joue pour la dernière fois Charlot ne se termine même pas sur un baiser happy end. On voit Charlot, à la tribune du Dictateur, après son harangue aux soldats pour les inciter à la révolte contre la tyrannie, avoir sa dernière pensée pour Hannah. Il sait que son speech est radiodiffusé, il y a des chances pour qu’elle l’entende. Son adresse devient un message d’espoir sur fond d’une déclaration d’amour à sa belle. Il l’aime de tout son cœur à travers les ondes. Ils sont sur la même longueur d’ondes, ses paroles traversent magiquement l’espace, à travers le ciel qui remplit l’écran. Hannah, dans l’image, et lui, hors cadre, sont en communion, il est en elle d’une certaine façon comme Hanan dans Léa, on l’entend en voix off, comme un dibbouk. On a Hannah visible, et Charlot, le vagabond errant, audible. Certes, la radio apparaît un moment dans un coin et Monsieur Jaeckel dont Hannah est la pupille, l’entend aussi, ce qui rend le phénomène objectif. Et pourtant on sent que la communication se fait d’âme à âme. Hannah finit par regarder le ciel, où Charlot, qui fut une image sans mot pendant 26 ans, n’est à présent plus qu’une voix sans image, immatériel, une voix d’ange, sinon un pur esprit. Elle semble en contact avec lui quand elle lève les yeux au firmament avec un sourire de béatitude. Le ciel est le lieu mystique par excellence. Comme si désormais Charlot était là-haut quelque part à côté de Dieu, du côté de l’espoir, rayonnant, radieux. Lui si spirituel dans ses gags muets est devenu spirituel dans sa parole lyrique.

Chaplin crée, entre les deux amoureux, un lien mystérieux, aveugle.

Or, il faut savoir que le nom de la fiancée de Charlot est celui de la mère de Chaplin. Chaplin célèbre là, d’une manière allégorique, les noces mystiques avec sa mère.

 

Mais il y a plus.


Dans la finale des Lumières de la Ville (1931), l’image de la jeune fille, derrière la baie vitrée de son magasin de fleurs, et qui s’amuse des gens, reproduit d’une certaine façon un souvenir que Charlie a conservé de sa propre mère. Chaplin raconte comment sa mère assise à sa fenêtre observait les passants de la rue, et comment elle mimait chacun, non sans un brin d’esprit satirique, apprenant son métier à son enfant.


Et, ensuite la mère de Chaplin devenue aliénée, n’a jamais été consciente que son fils était maître de ses films et qu’il avait atteint une notoriété mondiale. Elle disait, paraît-il : « on te fait travailler très dur… », et considérait qu’on l’exploitait, croyant peut-être qu’il était toujours quasi sans le sou pour devoir trimer si fort. Elle était aveugle à son fils. Et quand la fleuriste, qui s’imaginait, elle, Charlot riche, recouvre la vue, grâce à lui, elle ne le reconnaît pas davantage. Comme si elle ne pouvait pas voir… l’amour tabou, l’amour pour la mère. Et quand enfin elle voit, c’est tout un amour sublimé qui s’effondre : l’homme fortuné qu’elle fantasmait n’était qu’une illusion. Et Charlot, lui, se protège de son amour non permis, dirait-on, par un amour impossible, car pourra-t-elle aimer celui dont elle a pitié, et qui est si enfantin, ce dont elle peut se rendre compte en voyant l’index coincé au coin de la bouche comme font les enfants quand on les prend en faute, comme s’il se mordait les doigts, car il a menti, il l’a abusée, il a été un imposteur. Saura-t-il inspirer confiance pour fonder une relation solide ?


Certes, si Charlot est le barbier juif du ghetto dans le Dictateur, il n’est pas un fils d’Israël dans Les Lumières de la Ville, même si en 1931, l’opinion générale était que Chaplin fût juif.

Mais, ce qui est remarquable, c’est que les deux films, à dix ans de distance, se terminent en conjuguant un amour de loin, quasi sacré, avec un amour pour la mère, intouchable.


La question qui se pose : y a-t-il un lien entre l’amour et la mystique. Il y a assurément dans l’amour fusionnel l’illusion que l’autre est soi, mais même dans l’amour érotique se fantasme une identification, au moment de l’effusion, une communion dans l’union. Car au fond est peut-être recherché dans l’amour de se retrouver à l’époque antérieure où l’on ne faisait qu’un avec la mère, vivant en son sein, le paradis perdu. La Genèse parle d’Adam et Eve en terme de ne faire qu’une seule chair. Le thème fondamental qui traverse les films sentimentaux est peut-être celui de l’amour biblique, religieux, dans le sens « qui relie », l’amour pour Eve, la mère de l’humanité, comme si l’on aimait toujours pour la première fois.

 

Erotisme


Si l’on n’imagine pas Charlot man-child faire l’amour avec les belles de son cœur, en revanche on voit très bien les Marx Brothers s’éclater dans une sexualité débridée.

Il suffit de citer Duck Soup avec les Marx Brothers (Paramount, 1933).


Les Frères Marx sont marxistes, mais pas comme les camarades. Libertaires, leur pays est « Freedonia ». Et leur idéal est l’amour libre. Individualistes, ces révolutionnaires mettent sens dessus dessous les valeurs collectives. Leur esprit critique dévastateur réduit tout à l’absurde. Rien n’échappe à leur satire.


De fait, ils poussent à la limite, l’acte fondateur du judaïsme, qui est l’iconoclastie d’Abraham, l’homme qui a brisé les statues vénérées, et qui appelle son fils Isaac (signifiant « il rira »).


Leur autodérision est le contraire de l’idolâtrie. Eux qui soumettent les institutions et les grands sentiments qu’elles inspirent (nationalisme, héroïsme, etc.) à un jeu de massacre, se moquent aussi de l’amour sentimental, de la fidélité, du mariage, ne compte que le plaisir érotique, la pulsion physique, la lubie du moment, qu’incarne par exemple Harpo qui traverse les films en courant derrière tout jupon qui passe devant lui.


Ainsi, dans La soupe aux canards, cavalier héraut soufflant dans une trompe l’annonce de la guerre, il oublie vite sa noble mission lors de la cavalcade sur son cheval blanc, quand il aperçoit au passage à travers une fenêtre dans la nuit une belle en déshabillé. Il monte aussitôt à l’étage, pénètre dans la chambre comme un joyeux satyre, doit s’enfuir au retour du mari, repart à l’aventure, aboutissant vite dans le lit d’une autre demoiselle, où il s’endort entre elle et sa monture, qui a laissé au pied du lit, à côté des chaussures des amants, les fers de ses sabots. A travers les femmes, les Frères aiment l’éternel féminin.

 

Avec Some like it hot, de Billy Wilder (United Artists, 1959), Marilyn Monroe, sex symbol, apparaît peut-être la plus sensuelle de toute sa carrière, mais aussi la plus spirituelle.

Ce film est classé premier par l'AFI (American Film Institute) dans la liste des films américains les plus drôles du XXᵉ siècle.


Il n’est pas repris dans le catalogue de IMAJ (Institut de la mémoire audiovisuelle juive), car il ne traite pas d’un thème juif. Mais sont juifs le réalisateur et son acteur Tony Curtis, et sa star Marilyn Monroe, convertie au judaïsme en 1956.


Tony Curtis et Marilyn tombent amoureux l’un de l’autre dans le film. On a l’image d’une romance, même d’un amour de midinette. Et Billy Wilder arrive, dans ses comédies, à donner, de Marilyn, une image on ne peut plus pulpeuse, dans Sept ans de réflexion (The Seven Year Itch) comme dans Some like it Hot.


Le scénario est plein d’une joyeuse équivoque. Tony Curtis et Jack Lemmon, deux musiciens, ont assisté au massacre de la St-Valentin à Chicago, où Al Capone élimine à la mitraillette ses rivaux dans un garage. Témoins gênants, les deux artistes sont poursuivis par les gangsters. Pour leur échapper, ils se déguisent en femmes et se font embaucher dans un orchestre composé uniquement de musiciennes, dont Marilyn. D’où les ambiguïtés, où Tony travesti en fille devient « amie » de Marilyn qui lui fait ses confidences sur Tony garçon, qui lui fait la cour au naturel (il change de robe comme de chemise.) Elle rêvait de décrocher un millionnaire et il laisse entendre qu’elle l’a trouvé en lui.


Et quand elle chante devant l’orchestre, elle se demande où son flirt (Tony) reste, alors qu’il se trouve derrière elle, avec sa perruque de femme sur la tête, jouant du saxophone… Quant au camarade de fuite, « mademoiselle » Jack Lemmon (contrebasse dans ce jazz-band féminin), il est courtisé, lui, par un vrai milliardaire. Alors, Tony, pour jouer l’homme fortuné qu’il prétend être, avait donné rendez-vous à Marilyn sur le yacht de ce milliardaire ancré dans la rade. Mais pour pouvoir jouir de ce bateau de plaisance, il avait demandé à son copain Jack d’éloigner le richard et de sortir avec lui toute la soirée sur terre… En bon copain Jack (dans sa robe du soir) s’exécute, de mauvaise grâce. Le milliardaire fou amoureux lui propose in fine le mariage. Et Jack enlève sa perruque pour montrer qu’il est un homme. Le nabab au volant de son hors bord, comme s’il emportant sa belle sur son cheval blanc, n’en a cure et réagit avec cette réplique célèbre : « Nobody is perfect ! » Quant à Tony et Marilyn, à l’arrière de l’embarcation, ils semblent convoler en justes noces…

Le film est un thriller mené tambour battant avec une drôlerie qui traduit le meilleur de l’esprit viennois, entre Freud, Schnitzler, et Johan Strauss, qu’a connu le réalisateur avant son exil aux Etats-Unis pour échapper aux lois raciales des nazis. C’est un grand classique de la comédie.


Marilyn, dans sa maturité, au mieux de sa forme, manifeste aussi un côté juvénile qui la fait paraître a woman-child. Son charme est un composé de ces extrêmes : la girl, la vamp. « Marilyn Monroe a fasciné, ensorcelé les hommes, et peut-être même les dieux dans l'Hollywood de l'au-delà, nouvel Olympe, où la jalouse sans doute Vénus elle-même. Aphrodite était aussi déesse du rire. Et Marilyn a le sens de la répartie, comme lors de ses célèbres conférences de presse. Et quand on la voit chanter sous les projecteurs, la lumière émanée de sa nudité suggérée embaume comme le parfum même de l'amour : en surface affleure la profondeur de la tendresse. Mais son corps n'est qu'une image : elle est un corps mystique. [4] »


Marilyn Monroe en 1961 (domaine public)

 

L’amour passion


La romance de Charlot, lui man-child, qui rêve d’un grand amour dans City Lights, préfigure l’amour romantique, souvent tragique, qui est réalisé un peu plus tard par d’autres monstres sacrés du cinéma.

Et Casablanca de Michael Curtiz (Hal B. Wallis Production, Warner, 1944) est un de ces films rares où les amants (incarnés par Ingrid Bergman et Humphrey Bogart), touchent au sublime.

Il pourrait paraître abusif de parler ici de ce film dont le thème ne semble pas plus juif que les deux films précédents, et ni les acteurs vedettes.


Pourtant, il n’est pas insignifiant de savoir que l’auteur de la pièce de théâtre, dont est tiré le film, Murray Burnett, se trouvait à Vienne en 1938 où il aide des parents juifs à se sauver. C’est le point de départ de sa pièce.

Ensuite, sont juifs le réalisateur, Michael Curtiz (Kertesz), les scénaristes : les jumeaux Julius J. et Philippe G. Epstein, Howard Koch, qui adaptent le texte de théâtre, et des acteurs comme Peter Lorre, Dalio, pour des personnages secondaires, et le compositeur, Max Steiner. Sans oblier des figurants, incarnant des réfugiés persécutés, qui essaient d’échapper au nazisme en gagnant l’Amérique. Et parmi eux Laszlo, un des chefs de la Résistance, qui s’est évadé d’un camp de concentration. Certes, il n’y avait pas que des Israélites dans les camps, mais c’est néanmoins eux qui étaient en premier destinés aux camps de la mort.


Le film en 1944 était donc une œuvre critique et de contre-propagande du IIIe Reich, dans le cadre de l’effort de guerre réclamé de la part d’Hollywood par Roosevelt. C’est une histoire d’amour dramatique sur fond de la grande Histoire, où ce qui sépare les amants à jamais est un conflit mondial.


Casablanca fut à la première place du classement des films dégageant le plus de passion amoureuse (en 2002) et classé par AFI comme 2e film le plus important de l’histoire du cinéma américain (après Citizen Kane). On admire Citizen Kane, on adore Casablanca.

La plus belle histoire d’amour romantique d’Hollywood, c’est des Juifs qui la racontent. Peut-être parce qu’ils étaient les plus motivés à attirer l’attention sur la haine meurtrière que devaient fuir leurs coreligionnaires de l’Europe occupée.


Le scénario est remarquablement élaboré autour d’un objet (un Mc Guffin), dérobé, caché, recherché, renseigné, empoché, refusé, quasi extorqué, accordé, sacrifié, à savoir une paire de sauf-conduits, - clefs de la liberté, - convoités par ceux qui désirent fuir, dont Laszlo, et par les autorités qui veulent l’empêcher de rejoindre le combat.


L’événement déclencheur : deux Allemands sont tués.

Le meurtrier, Ugarte (Peter Lorre), planque leurs 2 sauf-conduits chez Rick (Humphrey Bogaert). Celui-ci est patron d’un Night club. Il se noie dans l’alcool, il boit pour oublier. Il combattit comme Américain avec les Républicains espagnols en 1936, mais est devenu cynique et ne veut plus prendre parti pour aucune cause.

Rick accepte finalement de cacher les 2 sauf-conduits (dans le piano du bar).

Ugarte est arrêté.

Il y a une perquisition de la police française (de Vichy) dans son établissement pour les retrouver.

Entrent dans l’établissement Laszlo et sa femme, Ilsa (Ingrid Bergman), laquelle reconnaît le pianiste, à qui elle demande de jouer « As times goes by ».

Cette chanson, qui date de 1931, fut introduite dans la pièce de théâtre, et gardée dans le film, qui la rendit populaire.

Survient Rick, qui à la vue d’Ilsa, se rappelle leurs amours à Paris en 1940, le jour où les troupes allemandes sont entrées dans la capitale française. Et Rick devait partir avec elle, qui n’est pas venue au rendez-vous à la gare. L’air de « As times goes by » est comme leur hymne.


Ferrari, un mafieux qui gère l’établissement concurrent, ne peut fournir qu’1 sauf-conduit (pour Ilsa, qui refuse, voulant rester avec son mari). Ferrari les informe que Rick en possède 2.

Rick n’accepte pas de les donner. Il est jaloux du mari et hait désormais celle qui n’a pas tenu sa promesse, l’ayant laissé tomber, sans explication.

Alors que son mari va à une réunion clandestine, Ilsa profite de l’occasion pour se rendre chez Rick, le supplie de lui donner les moyens de s’enfuir grâce aux deux documents, de protéger son époux responsable de nombreux combattants de l’ombre. Alors, n’arrivant pas à le persuader, elle le menace avec un revolver, mais craque : elle lui avoue en pleurs qu’elle l’a toujours aimé. Elle lui dit pourquoi elle n’a pas pu venir à la gare : elle venait d’apprendre que son mari qu’elle croyait mort avait pu s’enfuir, il avait besoin d’elle. Mais, après cette confession, nouveau retournement de situation, elle choisit désormais de rester enfin avec Rick, l’homme de sa vie.

Rick, chez Renault, le chef de la police et collaborateur des Allemands, dit qu’il va partir avec Ilsa et laisse entendre que Laszlo, resté seul, pourra être aisément interpellé. Cela plaît au Vichyssois, qui trouve Rick encore plus cynique que lui.

Mais quand Renault arrête Laszlo, Rick présent menace ce policier à son tour d’un revolver, et l’oblige à prévenir l’aéroport, qu’il y a deux passagers qui vont arriver (à ce moment Ilsa peut croire que c’est pour elle et pour Rick lui-même.)

Au moment du départ sur le tarmac, Rick, dans une dernière volte-face, remet les 2 sauf-conduits… à Laszlo et sa femme. Il se sacrifie pour la bonne cause. Pour convaincre Ilsa, il lui dit qu’elle ne pourrait jamais se pardonner d’avoir laissé derrière elle son mari en danger de mort. Rick fait faux bond avec l’avion comme elle fit avec le train. De plus, Hollywood n’aurait pas permis qu’une femme se sauve avec son amant au détriment d’un mari héros de la Résistance. Et impossible pour le producteur de laisser dans l’esprit du spectateur un Bogart traître, voire allié objectif du nazisme (car beaucoup de vies dépendaient de Laszlo, sinon la victoire.) Ce trio classique n’a rien de vaudevillesque en l’occurrence : les trois sont sacrifiés.


L’ultime coup de théâtre permet la résolution de tous les problèmes. Rick cynique redevient chevaleresque et Ilse repart fidèle, non sans nostalgie.

C’est l’amour romantique par excellence de la production hollywoodienne.

L’amour passion y est magnifié par le talent des acteurs (comme l’attestent les remakes, où les acteurs n’ont pas le même charisme). Il est mis en valeur par un cinéaste, Michael Curtiz, qui connaît à fond son métier, la direction d’acteur, la mise en scène, l’exploitation du décor qui recrée en studio la ville étouffante où sont piégés les réfugiés, le jeu des lumières à utiliser pour servir le jeu d’Ingrid Bergman dans les gros plans, ces coupes d’âme.

C’est une passion amoureuse on ne peut mieux servie par les scénaristes successifs : les frères Epstein qui ont adapté la pièce de théâtre en travaillant surtout le thème général des réfugiés, non sans introduire leur esprit ironique (Exemple : « Pourquoi vous êtes venu ici ? s’enquiert le commissaire soupçonneux auprès de Rick. – Pour l’eau. – Mais c’est désert – J’ai dû être mal renseigné. » Et tout le discours de Bogart est fait de ces réparties sèches, absurdes, qui font penser à l’esprit distancié de l’Etranger de Camus). Puis il y a eu Howard Koch qui a travaillé sur les valeurs symboliques de ce récit (faisant de Bogart, ancien combattant antifasciste dans la guerre d’Espagne, un homme qui ne croit plus en aucun idéal, car déçu par une femme, et qui in fine devient un chevalier de la cause anti-Hitler). Enfin l’histoire d’amour, au départ embryonnaire, est développée par Herman Robinson (non crédité !) qui métamorphose tout le récit.


Et y a contribué de toute son âme le grand maître d’œuvre, H. G. Wallis, le producteur, le bras droit de Warner, qui a choisi la pièce à adapter, qui a sélectionné les acteurs (Bogart au lieu de Ronald Reagan), qui a négocié avec Selznick pour avoir Ingrid Bergman, qui a choisi Curtiz, et qui ne s’est pas fait faute d’intervenir durant tout le processus, et notamment pour la finale. Ce chef-d’œuvre est le résultat d’un travail d’équipe, un produit parfait de la méthode hollywoodienne : mettre les meilleurs en commun sur un projet. C’est loin de la conception des cinéastes-auteurs-producteurs solitaires d’Europe.

 

On pourrait citer, dans le cadre de la Russie, comme grand amour passion, Le Docteur Jivago (David Lean, Metro-Goldwin-Mayer, 1965), qui raconte un amour déchiré sur fond de la Révolution de 1917, et dont le trait de judéité le plus évident est qu’il s’agit d’une adaptation du grand roman épique d’inspiration autobiographique de Boris Pasternak. Ce dernier, qui a connu le numerus clausus au gymnase en raison de son origine et qui a pensé un moment s’établir dans la Terre Sainte, deviendra un des plus grands poètes russes. Et la force de la passion qu’il a réellement vécue est telle qu’elle a pu susciter, à travers son livre, quasi un amour universel, comme l’atteste la production du film et son incarnation par l’acteur égyptien Omar Sharif.


Dans le film, celui-ci joue le rôle-titre, partagé entre Lara, sa maîtresse, et Tonya, sa chère femme, interprétée par Géraldine Chaplin.

Boris Pasternak
 

Amour et mariage


The Matchmaker, fiction d’Avi Nesher (Israël, 2010), illustre le mariage arrangé, - sur le mode de la comédie. Des rescapés des camps y surmontent leur traumatisme, au cœur d’un quartier populaire et haut en couleurs de Haïfa, grâce à un marieur traditionnel (matchmaker), comme symbole de la renaissance du peuple juif.


Pour le divorce, il y a un film fort, Gett de Ronit Elkabetz actrice et réalisatrice, avec Shlomi Elkabetz (2014).

Le divorce dans le judaïsme est autorisé et réglementé.

La femme peut le demander, mais c’est le mari qui doit l’accorder. Et il a le droit de dire non. Or, en Israël, n’existe que le mariage religieux que seul un tribunal rabbinique peut dissoudre.

Le film Gett (qui signifie divorce en yiddish) est une sorte de huis clos, tourné principalement dans le local étroit où se déroule le procès de Viviane Amsalem. Il nous fait vivre la tragédie de la femme dont le mari refuse le divorce. Il abuse de son droit une fois, puis des mois passent, une deuxième fois, des mois passent, des années et finalement il consent à condition que la femme promette de ne jamais se remarier. Et elle accepte ! Tant elle veut sa liberté ! L’enfer c’est l’autre. La comédienne est excellente. Elle incarne un problème social dans ce pays par ailleurs démocratique. En réalité, dans la plupart des cas, le mari consent à la séparation définitive (au dénouement de la relation mystique du couple), car la majorité des citoyens y est laïque.

Dans le film Kadosh d’Amos Gitaï (Israël, 1999) acclamé à Cannes, Toronto, New Dehli, Tokyo, il est question, à travers la destinée de deux sœurs, de mariage arrangé et de divorce.

Kadosh signifie sacré en hébreu. Le film est une évocation de la communauté ultra-orthodoxe Haredi, dans Méa Shéarim, quartier juif extrémiste de Jérusalem.


C’est le mouvement intégriste, qui est né en réaction au mouvement juif des Lumières (appelé Haskala, avec le philosophe Moïse Mendelsohn). Ces religieux ont mal vécu l’émancipation où les Juifs sont reconnus citoyens par la Révolution française et ailleurs, mais dont la conséquence redoutée est, au bout de leur sécularisation, leur disparition. Ils refusent la vie moderne. Et sont même antisionistes. Alors pour un Israélien comme Amos Gitai, cela a du sens de faire un film critique sur une partie de la population qui renie le pays où ils vivent.


Mais sa satire n’est pas caricaturale. Plus il est en empathie avec ses protagonistes, plus il objective le drame qu’engendre ce mode de vie.

A cet effet, il raconte l’histoire de deux femmes apparentées qui en sont victimes.

L’une, Rivka, aime assurément son mari profondément religieux, l’autre, Malka, la cadette, aime un garçon qui a quitté ce milieu pour une vie profane.

Seulement, Rivka, après dix ans de mariage, n’a pas d’enfants. Son mari, qui l’adore, est forcé, par le rabbin, de la répudier. Et elle se retrouve seule, rejetée par sa communauté.

Quant à la jeune Malka, elle est, elle, contrainte aussi, mais de se marier avec un homme qu’elle n’aime pas (l’assistant préféré du rabbin) et qu’elle trompe en retrouvant son amant un soir.

Rivka, l’aînée, meurt épuisée de chagrin. Malka, la puînée, finira par se sauver (au double sens de s’enfuir pour vivre).


On voit, au début, Meïr et Rivka, les époux qui s’aiment, en plan rapproché (dans leur intimité baignée d’une lumière chaude) se dénuder avec beaucoup de tendresse.

On voit la première nuit de noces de la jeune sœur Malka, en plan éloigné, dans une couleur froide, qui fait assister à un viol par son mari quasi pas déshabillé qui la pénètre sans caresse ni préambule, dans un acte purement procréatif.


Deux cas extrêmes de la condition féminine dans le mode de vie harédique : la divorcée (dans un couple uni), l’adultère (dans un mariage décidé sans consentement de la femme).

Le montage alterné entre les deux femmes fait on ne peut mieux ressentir l’absurdité tragique de leurs destinées parallèles.


L’actrice Yael Abecassis, qui incarne Rivka, a dit qu’elle n’a pu jouer son personnage qu’à partir du moment où elle ne la jugeait pas, mais où elle comprenait sa fidélité, l’acceptation de son sort, que néanmoins personnellement elle ne partage pas.

Rivka est rejetée pour cause de stérilité. Mais, un examen gynécologique tardif semblerait prouver que ce n’était pas elle qui aurait été responsable de l’infécondité. Et pourtant elle assume, fidèle à l’homme qu’elle aime, même reléguée.

Elle revient in fine auprès de son mari, s’allonge simplement à ses côtés, sans un mot, dispense d’affectueuses, sinon brûlantes, caresses, s’endort dans sa dernière nuit d’amour, s’éteignant au bout de son sommeil. Elle meurt d’amour.

 

Dans les films, on sacrifie le plus souvent à l’amour d’Occident, inventé par les troubadours, les trouveurs (en langue d’oïl, les trouvères), dont l’amour passion semble inspiré de l’amour mystique, qui se serait reporté, de Jésus ou Marie, sur la Dame de leur élection (nommée comme dans l’expression Notre-Dame). Ainsi, l’éloignement, qui était leur épreuve, peut renforcer le désir. Et c’est notamment le thème de Benvenuta d’André Delvaux, d’après La confession anonyme de Suzanne Lilar, où, après un amour passion réalisé à Milan [5], l’héroïne (Fanny Ardant) continue à aimer son amant (Vittorio Gassman), isolée, à Gand, quasi comme Hadewijch, non avec un amour dans la verticalité vers Dieu, mais à niveau d’homme pour un homme, quasi absent-présent comme le Seigneur, avec des émotions aussi fortes que dans l’amour physique.

Mais, ce sont là amours sans enfants.

 

Amour de l’enfant


Pour envisager ce thème, s’impose Le vieil homme et l’enfant de Claude Berri, avec Michel Simon, (France, 1967). Ours d’argent à Berlin.


C’est une histoire d’enfant juif caché pendant la guerre 40-45, qui mêle, avec beaucoup de fraîcheur, émotion et humour. Titi de Paris, celui-ci se retrouve placé chez des retraités âgés, près de Grenoble pour échapper à la déportation. Le sel de ce film est que le vieil homme qui sauve l’enfant est antisémite. Le pétainiste de province, qui ne sait pas qu’il héberge un jeune petit traqué par les nazis, déblatère contre les israélites avec tous les clichés connus. Mais il adore le petit garçon, qui se révèle pétillant de vie et d’esprit. Entre le vieil homme et l’enfant, s’installe une profonde tendresse. Ils font ensemble les 400 coups. Le film montre combien la fraternité humaine peut-être naturelle et comment toute idéologie aliène, empêche de sentir en l’autre son semblable. Le chef de la famille d’accueil, pourtant bonhomme, se ridiculise malgré lui aux yeux de l’enfant, par ses bouffées d’idées reçues. A la propagande de Vichy diffusée par la radio qu’il écoute à table, le vieux fait écho avec ses préjugés qui l’aveuglent, au point de ne pas voir qu’il pourrait même blesser son petit protégé. Seulement, son cher gamin, par affection mais non sans malice, avec des questions embarrassantes, apparemment naïves, amène l’indécrottable xénophobe à modifier peu à peu son point de vue. Le petit rescapé finit par sauver, quelque part, lui, son Juste. Ainsi, en patriarche de la France profonde, le Pépé bougon a le cœur gros quand les parents qui ont survécu aux rafles viennent lui enlever son petit ami juif. Le rôle du vieux est incarné par un inoubliable Michel Simon, qui y est tout simplement génial. D’inspiration autobiographique, ce film de fiction a aussi valeur de témoignage. Claude Berri a réalisé un film digne du Kid de Charles Chaplin.

 

La vita è bella de Roberto Benigni (Italie,1998) met en lumière un autre amour de père.

On est en 1938. Guido (interprété par l’auteur) est un jeune homme juif flamboyant, animé d’un amour fou pour Dora, une jeune institutrice. Celle-ci, promise à un haut fonctionnaire de l'Italie fasciste, est finalement séduite par la fantaisie, l'humour et la tendresse de Guido. Le couple a un fils, Giosué. Pendant toute la première partie du film, rien ne nous indique que Guido et son oncle soient juifs. Il faut pour cela attendre la mauvaise blague jouée au cheval de l’oncle peint en vert et tagué du mot « ebrei ».

La petite famille est déportée dans un wagon bondé vers un camp de la mort.

De fait le camp où pénètre le train est visiblement un décor, certes inspiré d’Auschwitz, mais sans être une copie conforme (car il combine la silhouette du portique de Birkenau avec les bâtiments en dur de la caserne d’Auschwitz I, bordant une cour intérieure qu’il n’y avait pas dans le sinistre périmètre des baraquements en bois d’Oświęcim). En outre, ce sont les Américains qui libèrent à la fin du film ce camp, alors qu’en réalité ce furent les soviétiques de l’Armée rouge. Et cacher un enfant dans un camp de concentration comme Buchenwald a été possible, mais dans un camp d’extermination, où l’enfant était le premier à être dirigé vers la chambre à gaz, c’était fort illusoire, même s’il y a eu de rares cas attestés de survie de petits (quand ils étaient une réserve de recrutement pour les expériences médicales).


Cette liberté prise avec la géographie et avec l’Histoire induit que le réalisateur ne raconte pas un récit réel, mais qu’il transpose la réalité du camp en une fable pour mieux faire comprendre en quoi il est un monde innommable. Grâce à la présence de l’enfant, Benigni va pouvoir évoquer l’abomination de l’univers concentrationnaire autrement que par la vue d’êtres hagards et faméliques subissant de plein fouet la solution finale [6]. Le petit pose des questions naïves qui mettent en valeur de manière inédite la déshumanisation programmée par les nazis. Le coup de génie est d’avoir imaginé que le père, par amour, présente cette situation comme un jeu. Et là ce comédien donne toute sa mesure. Il est un grand clown qui se surpasse pour donner au petit l’image d’un battant, malgré le mauvais sort. Il joue le grand jeu. Il invente que si on gagne la partie, la récompense sera un vrai char d’assaut. On a des scènes magnifiques où un père désespéré doit se surpasser pour préserver son fils du malheur, pour qu’il continue à vivre dans son imaginaire d’enfant. Et il est acculé, non à mentir, mais à affabuler. L’auteur Roberto Benigni parle même d’un conte philosophique.

On admire l’ingéniosité du héros pour présenter les épreuves qui accablent son petit comme des épreuves du jeu dans lequel ils jouent (dans lequel ils jouent de fait leur vie). Il dit à son petit garçon que s’il pleure, se plaint qu’il veut sa mère, ou dit qu’il a faim, il va perdre des points. Bref, il arrive à « éduquer » son fils, à ce qu’il soit sage, à ce qu’il ne se fasse pas repérer, grâce à ce règlement ludique qu’il a mis au point pour les besoins de la cause en bon père de famille.

Emmené pour être exécuté, le père-clown maintient la fiction du jeu en marchant délibérément de façon exagérée selon une parodie du pas de l'oie (un clin d’œil à Charlot dans le camp du Dictateur), pour amuser son fils et éviter qu’en sortant de sa cache il ne coure à son secours.


La finale est exceptionnelle : la mort du clown est tragique. Elle prouve que c’était une comédie en apparence, qu’en fait il ne riait pas du tout. Le sacrifice du père permet la survie du fils. C’est un clown salvateur. Guido sauve son fils, et, dit le Talmud, qui sauve une vie sauve l’humanité.


Benigni avait une forte motivation pour réaliser son œuvre, car son père était interné à Bergen-Belsen.

Peut-on rire de tout ? On voit bien que Benigni ne rit pas de la Shoah mais malgré elle. Il y a une angoisse de mort dès l’arrivée dans le camp, et il la convertit, non en gag, mais en un gage de vie, par amour pour son enfant.

C’est cela la magie de l’humour tendre (qui n’est pas moquerie des autres).

En autodérision, l’humour sauve. L’humour est amour.

 

Dans le film suivant, il s’agit d’un amour de la part de grands-parents.


JAI (Los numeros de la vida) d’Ariel Zylberstejn (Argentine, 2004).

La petite-fille demande à sa grand-mère ce qu’est ce numéro sur son bras (qui fut tatoué à Auschwitz). Et celle-ci dit par euphémisme, sinon par une ironie résiliente, que c’est le numéro de la vie (car si on additionne les chiffres on obtient 18, ce qui est également inscrit dans le mot hébreu: Khaï [JAI], lequel signifie précisément la vie).

Puis le grand-père voit que sa petite-fille inscrit ce nombre sur son propre bras. Et interrogée par lui, elle dit que c’est bubba (sa grand-mère) qui le lui a dit. Mais apercevant sur le bras de son zaydeh (grand-père en yiddish) un autre numéro, elle doute que le sien soit le symbole de la vie. Alors, le vieil homme opère, lui, soustraction et multiplication, de manière à avoir également au total 18.

De fait, l’auteur fait une parodie de la Gematria (numérologie hébraïque où l’on additionne les lettres, dont chacune a une valeur numérique, afin de découvrir le sens caché des mots dans le Livre.) Ainsi, toute la culture rabbinique, sinon kabbalistique, millénaire est exploitée par le scénariste, avec d’autant plus d’ironie qu’il permet à une femme de faire cette exégèse ésotérique, ce qui ajoute du piquant puisque l’étude des textes sacrés était le privilège des hommes. Et surtout la bubba, qui a la pudeur de son malheur, enseigne non la mort mais la vie, à travers ce sursaut de l’âme par lequel elle convertit le stigmate de l’anéantissement en un signe de renaissance, affirmant la vie éternelle du peuple juif. Elle piège de surcroît le zaydeh, qui, bon joueur, donne raison à sa femme. On ne voit pas les parents. On est dans une relation trans-générationnelle.

Il y a ainsi trois dialogues, où les personnages se rencontrent deux à deux. Le scénario emploie les opérations fondamentales de l’arithmétique enseignée à l’école primaire, adaptées à l’âge de la petite fille. Dans sa spéculation sur le code de la vie, les comptes tombent juste.


Il y a dans Jai une heureuse combinaison d’esprit de finesse et d’esprit de géométrie.

Et c’est le petit frère qui, par renversement des valeurs, apparaît comme le vrai adulte. Il a un discours de vérité, quasi cynique, en tout cas réaliste, car il donne, à sa grande sœur, la signification historique du chiffre. N’empêche, la réponse que la petite fille lui fait renoue avec l’imaginaire de la grand-mère : elle ne veut pas effacer le numéro qu’elle s’est tracée sur la peau, car si on veut à nouveau tuer ses grands-parents, puisqu’elle apprend du petit frère qu’ils ont été menacés de disparaître, et qu’on ne connaît plus le numéro de la vie, qui le saura ?

C‘est aux enfants à sauver les parents.

La petite-fille prend sur elle le destin de ses grands-parents. Elle se définit juive en fonction de la Shoah mais aussi de la Torah et de sa tradition herméneutique. Les grands-parents lui ont transmis l’amour du peuple juif, l’amour de la vie.

Certes, elle ouvrira un jour les yeux, mais sa réplique est une parfaite résolution de ce petit scénario. Ce court métrage est un grand film. Il donne l’impression de tout dire, l’essentiel, en 9 minutes.

 

Amour de l’humanité


L’amour de l’enfant par les adultes, voire tout amour, est un pari sur l’avenir de l’humanité. Et Bronenosets Potiëmkin (Le cuirassé Potemkine), de S.M Eisenstein (URSS, 1925) est un poème de style documentaire lyrique qui se projette avec enthousiasme dans les lendemains qui chantent.


Chez Eisenstein, la seule mention des Juifs semble se trouver dans une unique séquence de ce film, qui évoque la mutinerie exemplaire de 1905 sur ce bâtiment de la marine du Tsar. Alors qu’au milieu de la population d’Odessa venue rendre hommage en masse au matelot du cuirassier, Vakoulintchouk (qui symbolise le premier mort de la Révolution), une pasionaria aux cheveux noirs bouclés harangue la foule en tirant les leçons de ce martyre, un bourgeois crie "Mort aux Juifs !" Tout le peuple présent lui tombe dessus, comme si la question juive allait être résolue par l’union sacrée de toutes les couches sociales fondues dans le communisme fraternel, sinon dans l’internationale des prolétaires.


Ce film est une commande du Parti en 1925, pour célébrer, - à travers les révoltes qui surgirent aux quatre coins de la Russie en 1905, - la Révolution d’Octobre de 1917 et son grand élan d’amour pour l’humanité. Œuvre majeure de cette foi, le Potemkine a été longtemps classé meilleur film de tous les temps, en raison de son art mais aussi de l’idée généreuse qu’il projetait pour le salut de tous les hommes de la terre.

 

Et The Great Dictator de Charles Chaplin est de même une production au diapason du siècle en intégrant l’Histoire dans un film, avec un message tout aussi plein d’espérance.

Est-ce qu’on peut parler de judéité de Chaplin ? Pour le biographe officiel D. Robinson, il n’y a pas d’ascendant juif dans sa généalogie. Mais le problème n’est pas là. Si Chaplin interprète un dictateur qu’il rejette en le ridiculisant, il incarne avec empathie un juif de ghetto dans le Dictateur que l’autre persécute. C’est Chaplin qui pose la question lui-même.


On a dit : ils se sont laissé emmener à l’abattoir comme des moutons. Or, il y a eu de la résistance tous azimuts, des révoltes dans les ghettos (dont l’insurrection la plus célèbre à Varsovie) et dans les camps (dont la plus fameuse à Sobibor).


Mais un précurseur de la résistance fut Chaplin (et Churchill) et il sera un modèle au cinéma pour Lubitsch avec To be or not to be (1942) et de Roberto Benigni avec La vita e bella (1998).

Le discours final du barbier juif véhicule un message messianique. Le fond du succès de Charles Chaplin est qu’il avait une affection profonde pour l’humanité. C’est par respect pour ses semblables qu’il était si perfectionniste. Chaque mot de son discours fait comprendre comment chaque geste muet de Charlot, qui faisait rire et parfois pleurer, était un acte de grande complicité fraternelle avec son prochain.


« … désolé… dit Charlie, je ne veux pas être empereur... ni conquérir, ni diriger personne. Je voudrais aider tout le monde, juifs, chrétiens, païens, blancs et noirs. Nous voudrions tous nous aider si nous le pouvions, les êtres humains sont ainsi faits. Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas le malheur. Nous ne voulons pas haïr ni humilier personne… Nous pouvons tous avoir une vie belle et libre…

… L’envie a empoisonné l’esprit des hommes avec la haine…

… Nous sommes trop mécanisés et nous manquons d’humanité … de tendresse et de gentillesse.

… Les avions, la radio nous ont rapprochés les uns des autres, ces inventions ne trouveront leur vrai sens que dans la bonté de l’être humain, que dans la fraternité, l’amitié et l’unité de tous les hommes.

… La haine finira par disparaître et les dictateurs mourront et le pouvoir qu’ils avaient pris aux peuples va retourner aux peuples. [7] 

… Vous n’êtes pas des machines. Vous n’êtes pas des esclaves. Vous êtes des hommes, … avec tout l’amour du monde dans le cœur.

… Vous n’avez pas de haine, sinon pour ce qui est inhumain, ce qui n’est pas fait d’amour.

Soldats ne vous battez pas pour l’esclavage mais pour la liberté.

Il est écrit dans l’Evangile selon Saint Luc " Le Royaume de Dieu est dans l’être humain ", pas dans un seul humain ni dans un groupe humain, mais dans tous les humains, mais en vous… le peuple qui avez le pouvoir… de créer le bonheur… de rendre la vie belle et libre.

… Soldats, au nom de la Démocratie, unissons-nous tous ! »

Le Dictateur (1940) de Charles Chaplin. Discours final. Surimpression de Charlie et de Hannah, dans une union quasi mystique.

« … Hannah, tu m’entends ? … Les nuages se dissipent ! Le soleil perce ! Nous émergeons des ténèbres pour trouver la lumière ! Nous pénétrons dans un monde nouveau … meilleur, où les hommes domineront leur cupidité, leur haine et leur brutalité … L’âme de l’homme a reçu des ailes et commence à voler. … vers l’arc-en-ciel, vers la lumière de l’espoir. Lève les yeux, Hannah ! »

Chaplin a sans doute fait Le Dictateur d’abord par amour de ses frères et sœurs humains. Sa péroraison est digne d’une parabole évangélique.

 

(Com)union


Un film juif strictu sensu devrait être film où sont juifs l’histoire racontée, les thèmes abordés, la langue employée (yiddish ou judéo-espagnol, ou hébreu), le producteur, le scénariste, le réalisateur, les acteurs, et les techniciens, et l’inventeur des appareils, etc. Bref un tel film n’existe pas, même le Dibbuk (1938), le chef-d’oeuvre du cinéma parlé en yiddish, est réalisé par ce qu’on appelle un demi-juif, Michal Waszinski.

The Jazz Singer ou The Great Dictateur sont certes des films à thèmes juifs.

Et si, dans Casablanca, est juif le réalisateur, Curtiz (du patronyme Kertesz), dans Le Docteur Zhivago, autre film culte, rien quasi ne l’est, sauf l’écrivain Boris Pasternak dont le film adapte le roman.

On le voit, n’ont pas été envisagés ici de films juifs, mais de Juifs qui parlent d’amour au cinéma. Soit les acteurs : Al Jolson, Woody Allen, Les Marx Brothers, voire Marilyn Monroe, comme convertie ; soit le réalisateur : Curtiz, Billy Wilder, ou demi-juifs comme Michal Waszinsky, Eisenstein ; soit les personnages (comme ceux du Dibbouk) ; soit des acteurs juifs qui ne jouent pas de personnages juifs : Tony Curtis (dans Some like it hot) ; soit des acteurs non-juifs qui jouent des personnages juifs : Roberto Benigni dans La vita est bella


Deux pierres n’ont pas d’attraction affective. Le propre des êtres vivants, particulièrement des êtres humains, pour se reproduire, pour sauver l’espèce (Schopenhauer), doivent se réunir physiquement. Et le désir est cette pulsion qui pousse à passer à l’acte.

Mais même quand il y a fusion, les amants demeurent deux individus (indivisibles, uniques, différents), qui, après la jouissance, trouvent si intolérable la séparation de corps et de bien, qu’ils cherchent de nouveau à s’unir.

Vu la distance naturelle, plus ou moins minimale, entre les êtres, l’amour ne peut être que, peu ou prou, mystique, - de l’amour fusionnel à l’amour divin, (com)union. [8]

Et les œuvres cinématographiques, qui épousent cette infinie variété, montrent combien les Juifs, réels ou imaginaires, ont à cœur de partager les formes universelles de l’amour. [9]

 

Notes :


[1] Cf. Les Stars d’Edgar Morin, Seuil, 1957.

[2] Songwriters: Lewis, Sam/Donaldson, Walter/Young, Joe.

[3] Cf. Zelig, l’homme caméléon, qui défraie aussi la chronique.

[4] A. Nysenholc, préface à Christine Berckmans, Marilyn Monroe, L’Harmattan, 1994.

[5] La pianiste gantoise, dite « Benvenuta » (Fanny Ardant) s’est donnée à un juge milanais donjuanesque, Livio (Vittorio Gassman, né de mère juive), pour être initiée à l’amour.

[6] Cf. Lydia Chagoll, Au nom du Führer (1977), documentaire constitué notamment d’un montage parallèle critique entre des scènes filmées de propagande nazie avec des enfants allemands et d’autres avec des enfants juifs, les uns choyés, adulés par le régime, les autres, persécutés, maltraités, haïs.

[7] Variation sur la formule du gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple.

[9] On pourrait établir une échelle de l’affection comme suit : Erotisme (concret, physique) > amour passion (concret : éros +sentiment) > amour de la mère (intouchable, affection sans éros) > amour mystique (abstrait, métaphysique).


Cette étude a paru dans La Revue Générale, 9/10-11/12 ; 2016.

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