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  • Photo du rédacteurEliyahou Reichert

L'hébreu israélien, une renaissance réussie

Dernière mise à jour : 22 oct. 2021


C'est sans doute la résurrection la plus éloquente du monde : l'hébreu classique, conservé dans les écrits bibliques et post-bibliques, les textes talmudiques, la liturgie juive et la littérature hébraïque médiévale, est devenu une langue parlée vivante que parlent les habitants de l'Etat d'Israël. C'est une langue dont l'histoire, commencée il y a plus de trois mille ans, recoupe celle d'un seul peuple, le peuple juif, et celle d'un seul pays, le Pays d’Israël. Et on a constaté que, chaque fois que les Juifs étaient souverains ou simplement nombreux entre le Jourdain et la Méditerranée, ils parlaient l’hébreu !

Après avoir été utilisée sous diverses formes pendant plus de mille ans, la langue hébraïque cesse d'être parlée vers le début de l'ère chrétienne pour être remplacée par l'araméen et le grec, deux langue internationale en usage dans la région. Au Pays d'Israël et dans la diaspora, les juifs continuent cependant à se servir de l'hébreu pour le rituel synagogal, la lecture et l'enseignement des textes religieux. Alors que la langue parlée se meurt, la langue écrite se répand au sein des communautés juives dispersées à travers l'Asie, l'Afrique du Nord et l’Europe. On l'utilise pour l'étude et la prière, comme moyen actif de communication (documents légaux, réponses d'autorités rabbiniques, courrier) et support principal d'une production littéraire considérable (poésie, grammaire, commentaires, philosophie, sciences) d'ailleurs souvent ignorée du monde non juif.


Au Moyen Âge, l'hébreu est donc une langue vivante que l'on ne parle (presque) plus. Les Juifs s'expriment, en effet, dans la langue du pays où ils vivent. Mais ils écrivent généralement en hébreu ! Vers le début de l'époque moderne apparaissent cependant deux langues vernaculaires spécifiquement juive : le judéo-espagnol, la langue romane à composante hébraïque des juifs séfarades (au nord et à l'est de la Méditerranée), et le yiddish, la langue germanique à forte composante et à écriture hébraïques des juifs ashkénazes (dans le reste de l’Europe, de l’Alsace à l’Ukraine).


C'est à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle que commence la renaissance de l'hébreu parlé. Elle coïncide avec l’événement important de l'histoire juive qu'est l'apparition, en Europe, du sionisme, un mouvement national juif dont l'objectif consiste à encourager l'immigration des juifs vers le Pays d'Israël et a œuvrer pour le rétablissement d'une souveraineté juive sur cette terre.


Les précurseurs du renouveau de l'hébreu parlé sont les immigrants juifs de l'Europe de l’Est qui s'établissent en Terre d'Israël au cours des dernières décennies du XIXe siècle. De langue maternelle russe ou yiddish, ils s'efforcent d'utiliser l'hébreu académique des sources écrites – dépourvu de la plupart des mots indispensables à la communication quotidienne ! - dans les conversations courantes, à la maison, dans la rue, à l'école et au travail. Leurs efforts sont graduellement récompensés. On assiste, en effet, à une diffusion de plus en plus large de l'hébreu nouveau et à sa transformation en instrument de communication principale de la population juive du pays. Le nombre d’hébréophones augmente ensuite considérablement avec l'arrivée des grandes vagues d'immigration de l’entre-deux-guerres. À l'école, les cours sont en hébreu. La vie culturelle, économique et sociale se déroule dans la même langue. L'Université hébraïque de Jérusalem, fondée en 1925, l'adopte pour son enseignement. Et, signe certain de la résurrection, on voit apparaître une première génération d'enfants dont l’hébreu et la langue maternelle !


En 1922, l'hébreu est reconnu comme langue officielle (avec l'arabe et l'anglais) par le gouvernement mandataire britannique de la Palestine. (Après la deuxième révolte juive, en 135 de l'ère chrétienne, les Romains remplacèrent le nom de « Judée » par celui de

« Palestine », qui s'impose ensuite aux autres langues du monde. Les termes Pays d'Israël ou Terre de Israël, utilisés ici, sont des traductions de l’appellation hébraïque traditionnelle

« Erets Yisraël »).


Il est important de se rendre compte que parler l’hébreu en surmontant tous les obstacles, comme la présence des langues maternelles, la pauvreté relative du vocabulaire, l'opposition des milieux religieux à l'emploi profane de la langue sacrée, est pour les pionniers sionistes un acte idéologique essentiel. La résurrection de l'hébreu constitue donc, avant tout, un processus intentionnel dirigé par un idéal national. C'est le secret de sa réussite. Une réussite sans précédent.


Comment a-t-on procédé pour rendre vie à une langue parlée quasiment morte depuis deux mille ans ? Les rénovateurs (grammairiens, linguistes, enseignants, écrivains, poètes, journalistes, « comités de la langue » dans tous les domaines de l’activité humaine) ont puisé dans les sources écrites à usage culturel fréquent (Pentateuque, Psaumes,, Rouleau d’Esther, Haggada de Pâque, prières quotidiennes) et ensuite dans l’immense matériel écrit non cultuel, puis dans les anciennes langues-soeurs (surtout l’araméen). Individus et institutions (armée, médias, industrie, commerce, art, sport, etc.) ont utilisé ces écrits traditionnels ou hébraïsé des termes et des expressions provenant du russe, du yiddish, de l'arabe et des grandes langues de civilisation européenne (anglais, allemand, français). Le Comité de la Langue et l'Académie de la Langue hébraïque ont fixé des normes de grammaire et d’orthographe, inventé et agréé de nouveaux mots et guidé les utilisateurs. Les locuteurs, par innovation spontanée, ont fait le reste.


En 1948, l'hébreu devient la langue officielle prépondérante de l'État d'Israël (l’arabe est la seconde langue nationale du pays) et, aujourd'hui, plus d'un siècle après sa renaissance dans tous les domaines de la vie (culture, sciences, armée, économie) et avec ces divers niveaux de langue (cultivée, courante, technique, populaire, argotique), l'hébreu répond à tous les besoins d'une nation moderne dans un pays industrialisé, socialement, techniquement et culturellement avancé. On a pu dire que si les sionistes ont atteint leur objectif, l'établissement d'un État juif en Terre d’Israël, c'est sans doute aussi parce qu’ils ont réussi à faire revivre l’ancienne langue parlée de leur peuple.


L'hébreu contemporain se distingue des couches historiques antérieures (hébreu biblique, mishnique, médiéval) coupé sous le nom d'hébreu classique. C'est évidemment une langue de généalogie sémitique, mais sa typologie est occidentale, car son fonctionnement est conforme à celui des grandes langues de culture européenne. Le linguiste Israéliens Haiim Rosén la décrit comme « un véhicule d'expression partageant avec les autres langues sémitiques ses éléments formels (racines, préfixes, suffixes, groupement des mots, modèles de phrase), qui rendent possible l'expression en tant que telle, tandis que sa structure rationnelle, c'est-à-dire ce que l'expression représente, ce pourquoi il vaut la peine de s'exprimer, est semblable à celle des principales langues de l'Europe » (Ariel, n°21, Jérusalem, 1970, p. 96). Comme l’hébreu contemporain est la langue nationale d’Israël, la première langue de plusieurs millions de Juifs nés dans le pays et la seconde langue de millions d’autres habitants de l’Etat juif, le linguiste Haiim Rosén lui a donné le nom d’hébreu israélien.




Extrait de “L'hébreu israélien”. Précis de grammaire., Didier Devillez Editeur - Institut d’Etudes du Judaïsme, Bruxelles, 2008, pp.



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