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Photo du rédacteurAngélique Burnotte

Shabbat à Saint-Pie X

En général, toute communauté religieuse cherche à posséder un lieu de culte pour pouvoir se réunir et prier. Et, souvent, on trouve des exemples de ce que les différentes religions peuvent faire pour s’entraider quand c’est nécessaire.

En Belgique, un bel exemple en est fourni par le cas de la Communauté juive Maalé qui, pendant près de vingt ans, a utilisé la salle de la Paroisse Saint-Pie X à Forest pour célébrer le Shabbat. Comment ? C’est ce que l’on propose de raconter.


Salle paroissiale Saint-Pie X, vue de la façade extérieure

En juin 1966 [1], M. Seligman Bamberger, déjà fondateur de l’école Maïmonide à Bruxelles, emménage à Forest. Il décide d’y créer une nouvelle communauté juive. En effet, il a remarqué depuis plusieurs années que beaucoup de ses coreligionnaires qui s’installaient dans cette région de la Capitale n’avaient pas de lieu de prière proche de chez eux pour Shabbat.


N'ayant bien sûr pas de liste des Juifs vivants dans son quartier, il demande à quelques élèves de son école de repérer les noms sur les sonnettes des maisons. Il contacte également la Maison Communale qui accepte de lui communiquer une liste générale de la population. Ce qui lui permet d’écrire aux personnes probablement juives pour les informer de la création, dans leur quartier, de cette nouvelle communauté. [2]


Après avoir réuni un petit groupe de personnes intéressées par son idée, il lui faut encore trouver un local pour organiser la prière. Le vendredi soir et le samedi après-midi, il y a encore peu de monde, donc les réunions peuvent s’organiser à son domicile. Généralement, une douzaine de personnes s’y réunissent. Et, la religion juive s’exprimant par la prière, mais aussi par l’étude, il organise également chez lui, en semaine, un cours consacré au Talmud.


M. Seligman Bamberger à l’inauguration de la Synagogue en 1984

En revanche, pour le samedi matin, il lui faut un espace plus grand pour la trentaine de fidèles présents. Il prend alors contact avec l’Abbé Devos, prêtre de la Paroisse Saint-Pie X, qui accepte de lui louer, le samedi matin et lors des Grandes Fêtes, la salle paroissiale catholique située à la rue Roosendael, derrière l’église, au prix de deux cents francs de l’heure. La salle, qui fait également office de bibliothèque, reçoit chaque samedi, au début des années 1980, près de soixante personnes. Et même plus lors des grandes fêtes comme Rosh Hashana ou Yom Kippour.


La Communauté s’organise en y plaçant une petite armoire sur roues, fermée à clé, pour y ranger son matériel ainsi que les rouleaux de la Torah. Mais, rapidement, un problème se présente : un crucifix est accroché à un mur. Les membres de la Communauté, ne pouvant pas prier devant cette croix que certains assimileraient à une idole, font, chaque semaine, un montage avec des chaises et un tissu pour cacher le crucifix. L’Abbé Devos, comprenant leur problème, installe alors un store de bois en accordéon qui peut être descendu devant la croix pour la voiler quand cela est nécessaire. À l’arrivée de M. Klopmann [3] dans la Communauté, en 1968, ce store est déjà installé. C’est également cette année-là que le Rabbin Azriel Chaïkin est engagé par la Communauté orthodoxe pour diriger les fidèles. C’est alors lui qui officie dans les petites synagogues de quartiers qui n’ont pas de rabbin et qui ont besoin de ses services, lors des mariages par exemple. Le Rabbin Samuel Pinson sera, en septembre 1990, le premier rabbin de la Communauté reconnu par l’État. [4]


Cette salle a l’avantage de posséder un jardin où les enfants peuvent courir en toute sécurité pendant les offices s’ils n’y assistent pas. Et où, selon les souvenirs de M. Klopmann, la Communauté peut construire une cabane pendant les fêtes de Soukkot. [5] En effet, ils possèdent une cabane qu’ils peuvent construire temporairement juste devant la salle. C’est une structure, avec une armature de tubes en fer de deux mètres sur trois, entourée de bâches en plastique épais. Au début, cela intrigue probablement les catholiques qui viennent à l’église le dimanche, comme aussi le fait de croiser des personnes portant une kippa. Mais, les membres de la paroisse catholique savent que la Communauté juive se réunit à côté de leur église. Quelques explications seront vite données… D’après les témoignages que j’ai recueillis, en vingt ans, pas une seule fois on n’aura relevé de problème entre les deux communautés religieuses. Même quand une fête juive tombait un dimanche, une solution était toujours trouvée afin que la Communauté juive puisse se réunir pour la prière. [6]


L’Abbé Devos au premier rang des personnalités invitées lors de l’inauguration de la Synagogue Maalé en 1984. Il est le troisième en partant de la gauche.

Dans la Communauté juive de Bruxelles, selon M. Thomas Gergely [7], il était de notoriété publique que la Communauté Maalé se réunissait dans une salle paroissiale catholique et cela était vu comme une sympathique singularité.


En 1968, la première demande de reconnaissance de la Synagogue Maalé était introduite. Elle était reconnue par l’Arrêté Royal du 30 mai 1979. Alors, les démarches pour la construction d’une synagogue seront entreprises et elle sera inaugurée en 1984 non loin de l’église, avenue Messidor. La construction recevra, en 1985, le premier prix d’architecture pour un bâtiment neuf de la « Commission Royale des Monuments et des Sites. Biennale du 150e anniversaire ». [8]


Pendant une vingtaine d’années, la Communauté juive Maalé et la Paroisse Saint-Pie X ont donc partagé des locaux dans une bonne entente. Cela aura permis de tisser des liens qui perdureront par la suite, notamment avec l’Abbé Devos. Ce dernier sera d’ailleurs présent au premier rang des invités lors de l’inauguration de la nouvelle synagogue en 1984.




[1] Daniel Dratwa, Un événement à Uccle-Forest, dans « La Centrale », n° 288, septembre

1984.

[2] Interview de M. Samuel Bamberger, fils de M. Seligman Bamberger, 16 mai 2022.

[3] Interview par téléphone de M. Daniel Klopmann, président de la Synagogue Maalé

dans les années 1990, 9 août 2022.

[4] Interview de M. Bamberger.

[5] Interview de M. Klopmann.

[6] Interview de M. Bamberger.

[7] Interview de Thomas Gergely, mars 2022.

[8] Commission Royale des Monuments et des Sites. Biennale du 150e anniversaire. 1835-1985,

Ministère de la Communauté française, 1985.



Article publié dans la Centrale n°365, septembre 2022, pp. 20-22.

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