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Restitution d'œuvres spoliées….Où en est l'Allemagne d’aujourd’hui?

Photo du rédacteur: Janne KlüglingJanne Klügling

Pour pouvoir restituer une œuvre spoliée, il faut savoir à qui elle appartient… La démarche consistant à trouver le propriétaire d'origine s’appelle “la recherche de provenance”. Depuis la chute du Troisième Reich, en 1945, jusqu’à encore aujourd’hui, cette recherche est passée par bien des étapes  en Allemagne avant d’être institutionnalisée en 2012, suite à l’affaire Gurlitt. 


Des G.I. américains découvrent la toile d’Édouard Manet intitulée « Dans la serre », dans la mine de sel de Merkers en Allemagne, 25 avril 1945
Des soldats américains découvrent la toile d’Édouard Manet intitulée « Dans la serre », dans la mine de sel de Merkers en Allemagne, 25 avril 1945 © National Archives and Records Administration

Un aperçu du contexte historique


Pendant le régime national socialiste, entre 1933 et 1945, les Nazis ont mis en place en Allemagne et des pays occupés un vol organisé des biens de juifs . Cette spoliation, directe, mais aussi indirecte par des ventes forcées, des taxes forcées (“Judenvermögensabgabe”) ou encore la vente d’objets en dessous du prix de marché est difficile à chiffrer. Toutefois, on parle de 600.000 œuvres d’art, sans parler de l’ensemble du pillage. Ainsi, on sait que des musées nationaux, institutions et personnes privées, ont pu acheter à des immigrés, majoritairement juifs, des œuvres d’art à des prix dérisoires, étant donné que ces personnes avaient urgemment besoin de vendre pour fuir l’Allemagne nazie. Beaucoup d'œuvres d’art se sont ainsi trouvées en toute légalité sur le marché d’art international.


En 1943, les Américains ont créé le programme (de sauvegarde) de l’art, des monuments et des archives (Monuments, Fine Arts, and Archives program / MFAA) qui rassemblait 345 spécialistes de 13 nations, aussi connu sous le nom de “Roberts Commission” et qui a institué au sein de l’armée une équipe de professionnels en histoire de l’art, mais aussi des bibliothécaires, archivistes et architectes, appelés les “Monuments Men”. Envoyés pendant la guerre sur le terrain, avec comme mission de préserver des monuments et localiser des œuvres volées, ces agents trouveront à la fin des hostilités, des entrepôts d'œuvres d’art dans des mines proches de Salzbourg, mais aussi dans plusieurs autres lieux, notamment dans le château Neuschwanstein, en Bavière. Après-guerre, en charge du catalogage, d’emballage et de l’enlèvement de ces œuvres, les agents les regrouperont dans des points de rassemblement en vue de les restituer aux Etats d’où elles ont été volées. 



Wiedergutmachung?


Même si beaucoup d'œuvres et d’objets de valeur ont pu être restitués, il en restait un certain nombre qui n’ont pas été rendus. En effet, 30% des Juifs d’Allemagne ont été assassinés par les Nazi et les survivants ont dû s'enfuir à l’étranger après avoir été spoliés et pillés, aussi bien par l’Etat que par des personnes privées. Pareillement pour les Juifs des territoires occupés. La perte de toutes leurs ressources financières, le déracinement culturel, les traumatismes dûs à la violence et la perte de leurs proches ont rendu les démarches pour retrouver leurs objets extrêmement difficiles après la guerre. La demande de restitution d'œuvres a également été compliquée par la distance, c’est-à-dire, le fait que nombre de survivants ne vivaient plus en Allemagne, ni en Europe. A quoi s’ajoutaient les démarches administratives, très bureaucratiques, et une date limite pour pouvoir introduire la demande de restitution. De plus, les “Wiedergutmachungsbemühungen” (efforts de réparation) et les “Rückerstattungen” (remboursements) n’ont jamais pu “réparer” la perte sentimentale liée à des objets qui ont été volés. Sans parler, dans les années 60, de la loi “BEG-Schlussgesetz” qui prévoyait, pour la date du 31 décembre 1969, la fin de toute réclamation. Pourtant, depuis l’après-guerre, un grand nombre d’objets, dans des institutions publiques et privées, restaient d’une origine indéterminée.



Principes de Washington


C’est seulement dans les années 90 que la thématique est revenue sur le devant de la scène. La fin de la guerre froide et la chute du mur, séparant les deux Allemagnes, ouvriront de nouvelles perspectives. C’est que, même si les Soviets ont restitué des œuvres d’art et culturelles après la guerre, une partie de ces biens est restée dans les réserves d’institutions d’Allemagne de l’Est et de la Pologne ou même d’URSS, prise comme réparation par les Soviets.  


C’est aussi dans les années 90 que les banques suisses firent parler d’elles concernant le fameux “or des Nazis” et qu’elles ont relancé de cette manière le débat public. Un dernier déclencheur a été l’exposition d’une rétrospective, en janvier 1998, au Museum of Modern Art (MoMA), d’Egon Schiele. Deux tableaux ont été reconnus par les héritiers des propriétaires originels comme œuvres spoliées par les Nazis et une bataille judiciaire, très suivie par le public, a été engagée. C’est suite à cette affaire qu’à la „Washington Conference on Holocaust-Era Assets“ quarante quatre Etats, plusieurs organisations non étatiques et le Vatican, ont signé les “principes de Washington”. L’idée était d’améliorer et même de relancer la recherche de provenance d’oeuvres spoliées pendant la guerre par le régime nazi, ceci en vue de restituer ces oeuvres ou de trouver une solution compensatoire, juste et équitable. Bien que cette conférence n’ait comporté aucune mesure contraignante, beaucoup d'États signataires ont fait suivre des lois. L'Allemagne a fait une déclaration en 1999 pour mettre en œuvre les onze principes de la conférence de Washington.


Depuis les principes de Washington, en 1998, la recherche de provenance a pris un nouvel élan. La mise en place des bases de données, les nouveaux parcours universitaires de recherche de provenance ainsi que les initiatives pour trouver la provenance d'œuvres, faisant partie des collections d’un musée ou d’une institution publique, ont fait son chemin. Quatre-vingts ans après la fin de la guerre, la restitution d'œuvres spoliées à leurs propriétaires légitimes ne touche pas encore à sa fin. D’autres conférences, à Vilnius en 2000 et Terezin en 2009, ont représenté des pas importants dans l'institutionnalisation de ces principes.


Recemment, au début de 2024, on été ajoutés les “Best practices for the Washington conference principles on Nazi-confiscated art”.



La recherche de Provenance 


Une définition de la recherche de provenance a été proposée par l’Association suisse de la recherche de provenance : «Elle se conçoit comme une approche critique du contexte historique dans lequel furent acquises des œuvres d’art, des artefacts divers et des collections entières. Cela comprend une analyse (…) des acquisitions dans les collections publiques et privées ainsi que des interdépendances transnationales du transfert du patrimoine culturel, en particulier dans le contexte d’injustices liées à la colonisation ou au régime national-socialiste”. La recherche de provenance fait partie du travail des musées, des bibliothèques, des archives et du marché de l’art et elle est formulée explicitement dans le code de déontologie des musées de l’ICOM depuis 2017, comme une part de la mission scientifique d’un musée (paragraphe VI). Les parcours universitaires, en particulier l’histoire de l’art, l’archéologie ou encore le droit s’ouvrent à cette discipline.


Les objets sont examinés pour trouver  des inscriptions, comme des dédicaces, des signatures, des initiales, des tampons ou des ex-libris. Des catalogues, comme des catalogues d’expositions, sont fouillés pour trouver des indices indiquant un propriétaire précédent, c'est-à-dire de la période allant de 1933 à 1945. On fait des recherches dans des archives et le web est passé au peigne fin. Plusieurs projets internationaux ont été mis en place pour faciliter cette recherche, dont un, particulièrement important, la digitalisation des catalogues de vente d'œuvres d’art publiés entre 1933 et 1945.  


En Allemagne, c’est par le Deutsches Zentrum für Kulturgutverluste que la recherche de provenance a été institutionnalisée et qui à financée plus de 500 projets de recherches. La base de données, Lost Art, donne accès aux oeuvres qui sont d’une origine indéterminée et la base de donnée Proveana donne accès aux résultats des projets de recherche et les archives et documents qui y sont liés. Même si la base de données la plus importante est la base de données privée, créée à New York mais, aujourd’hui, basée à Londres : le Art Loss Register


Aujourd’hui, la recherche de provenance en Allemagne a fait un grand pas en avant. Des musées nationaux mais aussi des bibliothèques et des archives font le travail de recherche de provenance dans leurs collections. Néanmoins, il existe encore beaucoup d’institutions, souvent privées ou associatives, qui doivent s’y mettre. Et cette recherche doit également être plus soutenue dans d’autres pays, ceux, en particulier, occupés à l’époque par les Nazis. La Belgique est du nombre de ces pays, même si elle n’a lancé cette recherche qu’en octobre 2023 sous le nom de ProvEnhance. Une recherche qui commencera par les Musées royaux.

 


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